Je me réveillais en sursaut, lâchant un cri que je n’avais pas réussi à retenir. J’étais en sueur, ma respiration était saccadée et les images du cauchemar qui venait de me prendre tournaient encore dans mon esprit. Essayant de calmer mon cœur, j’y portais une main tout en me redressant en expirant fortement. Les cauchemars devenaient de plus en plus réguliers. J’y revivais la mort de Raquel, encore et encore.. Et parfois, comme aujourd’hui, je voyais Iris sans vie à la place de Raquel. C’était dur à supporter. Dur à encaisser.. Et j’accumulais de la fatigue. Bordel, il allait falloir que ça s’arrête, j’allais devenir dingue. Il fallait que je découvre qui était exactement la pourriture qui avait enlevé la vie de ma sœur ! Mais, pour le moment, la seule personne que j’avais envie de voir était Iris. Je voulais m’assurer qu’elle soit en sécurité, qu’elle aille bien.. C’était un besoin vital. Je passais rapidement sous la douche pour ôter la pellicule de sueur qui recouvrait mon corps, avant de mettre des vêtements on-ne-peut-plus-simple. Un pantalon en toile, et un haut dans la même matière. Quelque chose de léger, à quoi je rajoutais une veste et une paire de sandales. L’itinéraire, je le connaissais par cœur. J’allais souvent du côté de la plage qui longeait le territoire des sirènes. Après tout, c’était là que je pouvais trouver Iris le plus facilement..

Les sandales me génèrent bien vite, et je me retrouvais pieds nus dans le sable, mon regard fixant l’horizon à la recherche d’Iris. Sûrement devait-elle être chez elle, à cet instant. Et j’aurais donné très cher pour troquer mes jambes contre une queue de poisson. Je pouvais toujours essayé d’y aller en retenant ma respiration, et j’étais tenté par cette idée.. Mais il me fallait admettre qu’elle était absolument improbable. Et quand bien même j’arrivais à trouver la maison où elle vivait, j’allais manquer d’air avant même de pouvoir ne serait-ce que toquer à sa porte.. Une boule d’angoisse noua ma gorge, et je m’installais sur le sable, en tailleur. Mon visage montrait facilement ma peine et mon angoisse, et je continuais de scruter l’océan dans l’espoir de voir les longs cheveux bruns de celle que je considérais comme ma petite sœur. La prendre dans mes bras m’aurait fait un bien fou. Juste poser mon menton sur le haut de son crâne, et la sentir contre mon cœur.. Je sentis les larmes me monter aux yeux, mais je les ravalais tant bien que mal. Je reniflais, baissant la tête, fermant les yeux et me massant la nuque.. Je devais être pathétique à cet instant. Bonsoir. Je m'appelle Sharon. Je sursautais légèrement, mais relevais le regard sur la jeune femme qui venait de me rejoindre. « Bonsoir. » Ma voix était d’une neutralité que je n’appréciais guère, et je m’essayais à lui sourire. « Enchanté, Sharon. Je m’appelle Esteban. » Je n’étais pas un sauvage. Et il y avait tout à parier que la jolie blonde était une sirène..

Elle me dit que je ne semblais pas aller très bien et malgré moi, mes lèvres s’étirèrent en un rictus ironique. « Nous avons tous nos petits soucis, n’est-ce pas ? » lui répondis-je en lui faisant un clin d’œil. Je la vis hésiter, et je lui tendis la main pour l’inviter à s’installer avec moi. Elle s’excusa de son indiscrétion, et son regard gêné et fuyant me fit rire doucement. Ce n’était pas un rire moqueur, loin de là. Et il avait même quelques notes joyeuses. « Je vous en prie. C’est moi qui devrais m’excuser d’avoir troublé votre tranquillité en venant ici. J’espérais voir quelqu’un, mais il me semble improbable qu’elle apparaisse.. » Iris.. J’espérais vraiment à cet instant qu’elle aille bien.. Je souris doucement à Sharon, lorsqu’elle me dit que si l’envie me prend de parler, elle est prête à m’écouter « Vous êtes adorable, Sharon. Mais vous devriez faire attention à vous avant de vouloir veillez sur le premier humain qui vient pleurer sur cette plage. Les adultes sont des monstres, et il serait dommage qu’ils tentent de vous abimer, vous et votre gentillesse.. » Il n'y avait là qu'une constatation un peu douloureuse.. Mon regard glissa sur ses mains avec lesquelles elle jouait nerveusement, et d’un geste, je les lui recouvrais des miennes « Ne soyez pas gênée, vous ne me dérangez pas.. Je pensais, simplement. A mon passé. Et j’espérais voir ma petite sœur, ce soir. Enfin, celle qui tient cette place dans mon cœur. Une jolie petite sirène du nom d’Iris. Peut-être que vous la connaissez ? » Moyen détourné d’essayer d’avoir des nouvelles de ma Princesse.. Ma main toujours sur celle de Sharon, j’essayais de lui offrir un visage serein. Mais j’étais toujours angoissé, et cela devait encore se voir, malgré tout.

Moi qui avais prévu de voir Iris, je me retrouvais à faire la conversation avec une inconnue. Ça n’avait rien de dérangeant. Au fond, je crois que j’avais besoin de tout, sauf d’être seul et la présence de Sharon n’était pas désagréable. Je n’aimais pas particulièrement parler de ce qui n’allait pas dans ma vie. Parfois, j’en parlais un peu avec Iris, parce qu’elle avait été la première à me soutenir.. Mais, j’aimais garder mes soucis pour moi. Question de fierté mal placée, je suppose.. Elle me demandait pourquoi je disais que tous les adultes étaient des monstres, et je sentis les larmes me venir aux yeux. Larmes que je ravalais, toujours et encore. Il n’y avait que face à Iris que je me permettais de pleurer. Le reste des gens n’avaient pas besoin de voir mes larmes. Mon père m’avait élevé comme ça, avec cette fierté propre à mes origines.. « Eh bien, les adultes sont capables de tellement d’atrocités.. » Comme de tuer une gamine de 14 ans, et je sentis la boule dans ma gorge m’étouffer un peu plus..

« .. J’ai tendance à tous les mettre dans le même panier. Moi-même, je ne suis pas un modèle de vertu. Mais moi, j’ai encore une âme, contrairement à ceux qui viennent détruire cet endroit magnifique.. » On sentait dans mes propos un peu de la haine viscérale que je pouvais nourrir envers les adultes.. Surtout envers les pirates.. J’ai conscience, pourtant, d’être moi-même un adulte.. Mais, au fond, je devais bien avouer que je ne m’appréciais pas particulièrement moi-même.. Puis, je lui parlais brièvement d’Iris. Juste pour savoir si elle la connaissait. Une lueur d’espoir alluma mon cœur en voyant mon interlocutrice sourire, avant de s’éteindre brutalement lorsque Sharon m’avoua ne pas la connaitre. « Si vous la croisez.. Dites-lui simplement que je l’aime, qu’elle me manque et que je voudrais la voir.. S’il vous plait. C'est une petite brunette, de 180 ans. Elle travaille avec les bébés-sirènes, dans ce qui doit être votre.. nurserie. » C’était vrai ; elle me manquait. Et pourtant, je l’avais vue aujourd’hui. Elle avait ramené sa petite frimousse adorable dans ma taverne, et j’avais failli tuer l’intégralité des clients qui s’était trouvé là à cause des regards déplacés qu’ils avaient posés sur elle. Sharon posa une de ses mains sur mon épaule, avant de me répéter de ne pas hésiter à me confier. J’acquiesçais lorsqu’elle me proposa qu’on se tutoie.

« Ce sera plus sympathique.. Et, tu sais, mes problèmes n’ont certainement aucune importance. Je m’inquiète seulement pour ma petite sœur, rien de plus. Je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose. » Quelque chose comme ce qui est arrivé à Raquel. Un nouveau soupire, et je baisse le regard vers le sable « J’ai perdu ma petite sœur biologique il y a quatre ans. Je n’ai pas été.. capable de la protéger.. » Je me relevais d’un coup, la mâchoire serrée. Je sentis une larme sur ma joue, et je l’essuyais rapidement. Parler de Raquel était encore douloureux. « Elle aurait.. tellement adoré cet endroit. Elle aurait tellement adoré venir vous faire la conversation, à vous les sirènes.. Elle.. Elle me manque.. » Je fus forcé de me mordre violemment la lèvre pour ne pas fondre en larmes. Je n’avais jamais confié ma peine concernant la mort de Raquel à quelqu’un d’autre qu’Iris.. Pandore savait que c’était quelque chose dont je détestais parler. Je sentais toute la douleur venir m’envelopper d’un coup, et je n’eus que le réflex de m’éloigner encore un peu plus de Sharon, en lui tournant totalement le dos. Je me savais sujet aux excès de violence, lorsque les souvenirs devenaient trop difficiles à porter, et je ne voulais pas blesser la sirène qui était venue spontanément à ma rencontre.. « Je suis désolé.. » articulais-je difficilement entre ma mâchoire serrée. Je ne savais pas exactement de quoi je m’excusais, néanmoins..

« Parce que je serai capable du pire, si on m’en laissait l'occasion. » Ma voix avait été froide, dure. Ce n’était pas contre Sharon, je n’avais simplement fait attention à mon ton. Les adultes étaient des êtres abjects. C’était une évidence. Ils détruisaient tout sans se soucier le moins du monde de faire du mal autour d’eux. Mais il fallait que je parle d’autre chose, si je ne voulais pas totalement partir en vrille. Parler d’Iris réussit à me calmer un peu, mais les choses dérapèrent à nouveau. Lorsque je mettais des mots sur l’inquiétude que je pouvais avoir pour Iris. Elle était toute ma vie, et j’avais probablement fait basculer l’amour que j’avais pour Raquel sur elle… Probablement. C’était moins difficile que de vivre avec ce vide dans la poitrine. Ce vide qui me bouffait chaque jour un peu plus. Qui noircissait mon âme, de plus en plus. Et, avant que je ne le contrôle, je me mis à parler de ma sœur. De Raquel. Et de sa mort. Pourquoi est-ce que je m’infligeais encore cette douleur ? Je m’éloignais, ne sachant pas comment je pouvais réagir. Et la voix de Sharon m’arracha un rictus. « J’aurais dû tout faire pour la protéger. Tout. » dis-je d’une voix blanche. Elle était morte à quelques mètres de moi, et je n’avais rien fait pour empêcher ce pirate de la tuer… Comment pourrais-je vivre avec ça ? Je gardais ça pour moi. Je ne voulais pas exploser, pas ce soir, pas ici… Sharon arriva sans même que je ne puisse faire un geste pour lui intimer de rester là où elle était. Je n’eus guère le choix ; en l’espace de quelques secondes, je me retrouvais contre elle. Elle me serrait dans ses bras, et j’étais tout simplement incapable de bouger, mes bras restant ballants le long de mon corps et mes poings restant serrer. Je n’allais pas lui faire du mal. J’en étais totalement incapable. A vrai dire, lorsqu’elle prit la parole, le seul réflexe que je fus capable d’avoir fut de l’entourer de mes bras et de la serrer contre moi, une main sur l’arrière de sa tête et l’autre au creux de ses reins. Il n’y avait là aucun geste déplacé ; mon cœur se brisait bien trop pour que je ne pense ne serait-ce qu’à essayer de la charmer… « Elle… Elle s’est faite tuer par un pirate… J’ignore le nom de ce cabrón mais le jour où je le trouverai… » Je déglutis avec une difficulté non feinte, tout en me détachant de Sharon, en faisant un pas en arrière. « Je ne veux pas en parler. » rajoutais-je brutalement, en me détournant pour m’approcher de l’eau. « Je suis désolé si je te semble étrange. C’est encore trop récent pour que j’arrive à en parler sans douleur… Et crois-moi, ce vide que je ressens en moi, je ne le souhaite même pas à mon pire ennemi… » Ça, ce n’était pas nécessairement vrai. Le pirate qui m’avait arraché ma sœur… J’allais lui faire payer. J’allais lui arracher tout ce qui comptait pour lui, pour ne lui laisser qu’un vide profond et destructeur.