Équipage de bras cassés. C'est tout ce qui vient à l'esprit d'Adriel quand il pense à la réaction profondément puérile des hommes de l'équipage quand il avait annoncé plus tôt dans la journée qu'ils traînaient tellement leur cul de taverne en taverne qu'ils allaient finir par user les bancs, et qu'il serait peut-être temps de se bouger un peu pour faire des vrais trucs de pirates. Parmi ce genre de trucs il y a terroriser des gens honnêtes, être imbuvable, mais aussi -et surtout- partir à la recherche de trésors. Visiblement ils ont tous mal intégré le dernier point en signant de leur joli nom en bas du contrat le jour de leur arrivée. Quand ils s'étaient mis à rire de manière gênée en se regardant les uns les autres d'un air paumé, Adriel avait capitulé. Il s'était dit qu'il tenterait la chose tout seul même si ça devait lui prendre du temps. Au moins ça l'occuperait ! Passer son temps à compter le nombre de planches de bois qui composent le bastingage semble une occupation attrayante, mais elle n'a qu'un temps. Non en fait, c'est complètement débile et il n'a jamais fait un truc pareil. Toujours est-il qu'il avait attrapé cette foutue carte sur le bureau du capitaine et qu'il s'était tiré du bateau en soupirant, bien déterminé à  ramener de l'or. Quit-à s'occuper autant le faire bien. Il espérait une quête se clôturant par un succès, évidemment, mais ça fait maintenant plus d'une demie heure qu'il observe le sol sous toutes les  coutures, qu'il recompte ses pas. Soit ce trésor est vraiment très bien caché, soit il a l'air d'un crétin royal à l'heure qu'il est. Complètement épuisé d'avoir traversé la moitié de l'île et de piétiner sans aucun résultat il décide de s’asseoir et d'attendre d'être un peu moins sur les nerfs pour reprendre son investigation. Pas question de rentrer bredouille au navire et encore moins d'affronter les regards de pochtrons qui voudront dire « on te l'avait bien dit ». Pourtant alors qu'il est sur le point de s'accorder un petit moment de tranquillité, une voix féminine vient lui vriller les tympans. Il l'entend avant de la voir. Candice. Merveilleux, il ne manquait plus que ça à son palmaress de la parfaite journée désastreuse ! « Bas faut croire que si, c'est vrai. C'est pas d'chance pour nous deux. » Et il se relève d'un bond souple en soufflant bruyamment.

En quelques enjambées seulement elle le rejoint et le toise. Il fait de même mais a plutôt envie d'éclater de rire. Il ne déteste pas Candice, mais il est bien trop fier pour l'avouer. Alors il se contente de la provoquer tout le temps, même si ça reste gentil en général. Faut dire que lors de leur rencontre elle avait eu le droit à un bel aperçu du mauvais côté de lui, et chacun avait laissé des marques sur l'autre. Des plumes perdues dans le combat. Mais tout ça est derrière eux. Maintenant ils sont d'avantage dans la compétitivité, les piques cassantes. « TON trésor ? Non mais tu rigoles ou quoi ? Je suis là depuis une demie heure ! T'avais qu'à te pointer la première. » Il fronce les sourcils tellement fort pour se donner l'air imposant que d'un point de vue extérieur ça doit être bien risible. D'ailleurs il se mord la langue pour ne pas en faire autant. « Parce que moi je n'ai pas marché pendant des heures peut-être ? T'as cru que j'étais arrivé en tapis volant ?! » Il secoue la tête en signe de négation et la défie du regard. Impertinent. « Parce que tu sous-entends que c'est moi qui ai perdu ?  Allez, tu sais très bien que si j'y avais mis toutes mes forces t'aurais chouiné pour que je t'épargne Candice...Finalement c'est peut-être  de bonne guerre que l'histoire se  répète. » Jamais il ne lui dira qu'il est plutôt agréablement surpris de la voir ici, et qu'il s'inquiétait de ne pas avoir de ses nouvelles ces derniers temps. Ce genre de chamailleries lui manquent quand il s’ennuie. Mais jamais il ne l'avouera. Le dire à voix haute serait comme se trahir lui-même. Elle le bouscule et repart dans son comptage de pas. Elle aussi a l'air de galérer à le trouver ce trésor ! Certes c'est le jeu que les trésors soient cachés mais là il est beaucoup trop bien dissimulé. Elle lui dit qu'il ne devrait pas la suivre, mais lui y voit un défi. Il lui emboîte joyeusement le pas en caricaturant sa démarche déterminée. Il finit par la contourner et se plante devant elle en la fixant très sérieusement « Je ne suis pas un simple matelot. » Et il regarde de nouveau le sol, dans l'incompréhension. « Je ne comprends pas ce qu'on rate... »

Quand on observe Adriel et Candice tout porte à croire qu'ils se détestent. Mais ce n'est pourtant pas le cas. Disons que lorsqu'ils se sont rencontrés pour la première fois ils ont bien cru que jamais ils ne pourraient se voir en peinture, et pour cause vu qu'ils se sont salement battus ce jour là, mais en réalité ils sont plus rivaux qu'ennemis. Et encore, ça reste gentil comme rivalité. Le vrai qualificatif est sûrement « amis » mais jamais ô grand jamais Adriel n'assumera une telle chose. Insolents, ils le sont à coup sûr. Acerbes aussi, mais sans aucune réelle méchanceté dans le regard. Alors franchement, la situation du jour est plus comique qu'autre chose. Mais le pirate se force à rester sérieux. Il doit faire un effort surhumain en fait, pour ne pas éclater en un rire bruyant et gai. De toute manière il ne doit pas être joyeux. Parce que ce serait bizarre, et que les gens ne lui connaissent pas ce visage d'ordinaire. Puis c'est trop dangereux pour lui de se laisser aller à être gentil, puisqu'il peut perdre le contrôle en quelques secondes et redevenir la personne monstrueuse qu'il est les trois quarts du temps. C'est ce qui l'oblige à revêtir un masque de sarcasme en permanence. C'est ce qui l'immobilise et l'empêche de se laisser aller aux rires et aux plaisanteries. Les remarques amères ont toujours été un bien meilleur refuge pour lui que les grands sourires. Est-il encore capable de sourire avec douceur et sincérité de toute manière ? Mais peu importe, il continue de froncer les sourcils et ajoute à ça une moue boudeuse en tiquant à la remarque de Candice. « Pour une fois que c'est pas toi qui me pète quelque-chose Dean... » Il essaye de rester sérieux, encore un peu. « Il m'a fallut porter une attelle au poignet pendant trois mois la dernière fois. » Et ça c'est vrai. Ils se sont vraiment abîmés l'un l'autre la dernière fois qu'ils ont convoité un trésor commun. Mais ça fait partie du métier de pirate après tout, alors ce n'est pas bien grave, mais Adriel adore faire mine d'être vengeur et rancunier. Vengeur il l'est bel et bien, mais pas avec Candice, et pas pour des raisons aussi futiles.

Il l'écoute parler du droit de l'équipage du Jolly sur le trésor et de leur précédent affrontement en levant les yeux au ciel de manière particulièrement caricaturale. Il fait encore quelques pas, fatigué, assoiffé, énervé que ce foutu trésor ne soit pas là ou il est supposé être. « De toute manière il faudrait déjà qu'il y ait un trésor pour se battre dignement. Or, je sais pas si t'as remarqué, mais ça a pas l'air d'être trop le cas. » Il la regarde d'un air angélique et innocent, puis revêt de nouveau son habituel sourire moqueur et lève les mains en l'air dans un geste de défense feinte. « Enfin moi je dis ça je dis rien hein. Si on t'écoute c'est toi la professionnelle du déterrage de coffres. » Puis il imite joyeusement la démarche de la seconde du Jolly, à moitié mort de rire cette fois-ci, incapable de  faire la gueule plus longtemps. La situation est définitivement trop comique. Il se retourne, le sourire aux lèvre. Mais plus moqueur cette fois-ci, réellement amusé. « Y a pas de ben voyons qui tienne. Je n'suis pas un simple matelot, c'est juste un fait. » Il fait claquer sa langue contre son palais pour appuyer ses dires. Habituellement il a vraiment horreur qu'on remette en question sa position hiérarchique. Il est fier d'être arrivé là ou il en est aujourd'hui. Même si c'est plus devenu une sorte de blague entre eux, qu'elle ressort à chaque fois qu'ils se recroisent. Voilà pourquoi il ne proteste pas plus. Parce qu'aujourd'hui il est trop fatigué pour gaspiller plus d'énergie en se prenant la tête avec elle pour de vrai. Mais cependant il redevient bien vite sérieux, car cette histoire de trésor introuvable commence vraiment déjà à échauffer son esprit, déjà pas mal malade en temps normal.

Elle compare les cartes, elle peste tandis que lui essaye de rester d'un calme impérieux même si il bouillonne à l'intérieur. Tout ça pour ça...Toute cette marche, tous ces efforts pour rien. Zéro, nada. Il n'y a aucun coffre enterré ici, et même s'ils ont nié l'évidence pendant quelques instants ils sont bien forcés d'admettre qu'ils sont venus ici pour une illusion. Génial ! « J'suis sûr que quelqu'un se chargera bien de le tuer avant toi. » dit-il avec un petit rire. Épuisé, il se laisse donc tomber sur le sol à côté de Candice. Mais elle part dans une tirade sur les membres d'équipage du Jolly et leur incapacité. « Candice... » Ah, non, elle daigne pas l'écouter. « Candice... » Non, toujours pas. « Candice ! C'est bon, calme toi. Y a pas mort d'homme dans l'immédiat. Des trésors je suis sûr que tu en as déjà trouvé pleins dans ta vie. Puis c'est pas un échec ou quoique ce soit du genre, c'est juste ces putain de cartes. Alors tout va bien Dean. » Il la regarde continuer de s'égosiller et soupire. Puis elle se relève et lui demande s'il a de quoi boire. En vérité ça tombe sous le sens, Adriel se déplace très rarement sans une bouteille. Oui parce qu'en plus d'être un fou subissant un dédoublement de personnalité et ayant des tendances psychotiques et sadiques il boit... « Quelle question, j'ai toujours de quoi boire ! » Il se redresse, va prendre sa sacoche en cuir qui s'est échouée un peu plus loin et en sort une excellente bouteille de rhum. Il se rassoit, l'ouvre avec ses dents et la tend d'un air avenant à Candice. « On trinque à quoi ? A la tristesse et la bizarrerie de cette endroit ? Aux trésors introuvables ? Aux amitiés improbables ? »