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LILY & EZECHIEL

Aujourd'hui Lily est complètement épuisée. L'entraînement a duré quasiment toute la journée et s'est montré plus ardu et intense que d'ordinaire. Il faut dire qu'elle met la barre de plus en plus haut lorsqu'elle s'exerce. Elle ne doit pas faiblir, elle doit être capable de guider son clan sans faillir, chacun d'entre eux. Oui mais, n'est-ce pas un fardeau démesuré pour les frêles épaules d'une jeune princesse ? Sa volonté ne fait que forcir quand son cœur se désagrège en lambeaux sombres. Quoiqu'il en soit ce soir elle ressent les effets de tout ce qu'elle repousse depuis des semaines déjà, que ce soit la fatigue, les douleurs ou l'anxiété quant-à la suite des événements. Le monde qu'elle a toujours connu lui échappe et l'air désormais chargé de tensions diverses lui file entre les doigts sans qu'elle ne puisse rien faire pour y remédier. Elle est peut-être la future chef du village des indiens, mais elle ne s'est jamais sentie aussi impuissante que ce soir alors que les derniers rayons du soleil de la journée entament un ballet chatoyant, jouant à se projeter sur les feuilles des arbres en tous genres de la forêt. Elle progresse lentement, profitant de la caresse de l'astre qui est à cette heure bien moins agressive qu'elle ne l'est en pleine journée. Un raid est prévu sur Rivebois, près du cirque, et arriver par surprise alors que le soleil est sur le point de se coucher est la stratégie qui a été convenue plus tôt dans la semaine. Lily a emmené avec elle une quinzaine de soldats indiens mais tous se sont dispersés pour améliorer l'effet de surprise. L'indienne se retrouve donc seule, chaque seconde passée à parcourir les sentiers la rapprochant de son objectif. Seulement, aujourd'hui elle en vient à se demander si cela vaut vraiment le coup de se battre, si ce rêve qui autrefois s'appelait « Neverland » a encore une légitimité et mérite qu'on lutte pour lui. Oui, pour la première fois de ses deux siècles d'existence elle doute pour de vrai, comme le font les adultes. Elle n'en a aucune envie mais c'est comme ça, cela fait bien longtemps que ses réflexions la mènent dans des directions auxquelles elle aurait refusé de croire des années plus tôt. Son corps ce soir est couvert de bleus divers, ses doigts sont constellés de petites entailles écarlates, marques d'une frêle lueur vengeresse qui ne demande qu'à s’éteindre. Elle soupire alors qu'elle arrive à la lisière de la forêt et écarte les dernières branches qui lui barrent le passage. Elle rabat le capuchon de la cape qu'elle a enfilé pour cette mission et entre dans le village ainsi dissimulée. Autour d'elle le soleil anime tout d'une couleur or liquide absolument fascinante. Elle s'approche du cirque à grandes enjambées. Ce n'est pas la première fois qu'elle se trouve aussi près du chapiteau et des tentes mais aujourd'hui tout lui paraît si différent, comme si une puissante magie était venue tout envelopper pour qu'elle reste ébahie devant le spectacle un peu étrange de toutes ces toiles colorées qui se dressent un peu partout. Elle continue d'avancer, la tête baissée vers le sol maintenant qu'elle est si près de ceux qui en théorie sont ses ennemis. Elle progresse au rythme d'un air de piano enchanteur qui s'échappe de l'une des tentes. Une fois de plus elle soupire, rien ne devrait lui sembler viable ici et elle ne devrait penser qu'à tout détruire ! Sans qu'elle ne comprenne vraiment pourquoi elle se retrouve devant l'une des constructions nommée l'Orchidée. Ce quelque-chose de curiosité toute enfantine qui demeure en elle est piqué, il faut qu'elle rentre et qu'elle sache ce qu'il y a à l'intérieur. Elle sait bien que ce n'est pas prudent et qu'elle pourrait tomber sur n'importe qui mais n'est-ce pas l’attrait du danger qui motive des tas de gens, et surtout le peuple indien ? Elle entre alors à pas de velours sans plus de questions et voit des flèches qui indique un « cabinet » de cartomancie. Tiens, y aurait-il des choses que les cartes puissent lui apprendre sur son avenir pour qu'elle soit un peu plus certaine qu'avec ces raids répétés elle prend la bonne décision ? Il serait peut-être temps de vérifier. Elle continue donc sa route et arrive près d'un bureau. Il y a une chaise sur laquelle elle s'assied, toujours impétueuse à ne jamais attendre qu'on l'invite à faire les choses. Sans enlever son capuchon elle détaille la pièce, les couleurs sont chatoyante et un encens floral embaume tout. Derrière le bureau se trouve un homme dont elle ne peut pas voir le visage vu qu'il semble assez occupé à mélanger des cartes. Il a en sa possession de bien étranges jeux qu'elle ne connaît pas. « Dites...Combien ça coûterait si je vous demandais de lire mon avenir dans vos jolies cartes ? » demande-t-elle innocemment.

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LILY & EZECHIEL

La jeune femme n'arrive pas à voir son visage alors elle est très intriguée. Disons qu'elle aime savoir à qui elle a affaire, mais bon, supposons que ça fasse partie des nombreux mystères du cirque. Elle ne sait même pas ce qu'elle fait ici après tout...Elle est sensée les attaquer et non pas discuter et fraterniser avec eux. Mais la curiosité est cependant plus forte. Elle a envie de savoir si son rêve va se réaliser, si ses projets vont aboutir, si ce mariage va finalement avoir lieu, si elle va enfin sortir la tête de l'eau...Tant de questions s'entrechoquent avec violence dans son esprit, tellement qu'elle peine à y voir clair. Elle secoue la tête et se contente de sourire impertinemment pour que l'inconnu ne puisse pas deviner le trouble qui l'habite. C'est une vieille astuce que lui ont appris les adultes du village : toujours avoir un coup d'avance sur son ennemi. Oui voilà, elle ne cherche pas à se faire des amis au pays des adultes hypocrites mais elle prend de l'avance sur sa prochaine attaque, qui sera menée avec la plus grande des fourberie. Elle le regarde mélanger les cartes encore et encore, fascinée par les mouvements fluides de ses mains. Il y a presque quelque-chose de magique dans la manière dont elles s'assemblent et se détachent en quelques secondes seulement. Enfin, tout est relatif bien sûr. Lily a déjà vu de la vraie magie a de nombreuses reprises grâce à Peter et aux fées, ce n'est pas du tout ça. Pourtant une petite voix dans sa tête lui murmure de tout oublier et de juste profiter de ce petit péris qui lui est offert. Une petite voix maintenant...Peut-être qu'elle devient folle au fond ? Que toute cette pression  est en train de lui déglinguer le cerveau ? Elle soupire. Un souffle léger, presque inaudible et tout simplement imperceptible. Elle essaye de ne pas le fixer d'une manière curieuse et préfère donc se concentrer sur le décor. L'une des bougies du bureau attire particulièrement son attention. Entre l'orange et le jaune, comme le miel, comme l'or. Une couleur qu'elle aime énormément. Elle passe et repasse sa main au dessus de la flamme, laissant juste quelques centimètres entre ses doigts et la morsure du feu. La voix de l'homme la fait sursauter quand il daigne enfin parler. Elle l'avait complètement oublié ! Elle se concentre de nouveau sur lui et son visage qui sort à peine de la pénombre. - L'avenir devrait avoir un prix variable, s'il est grandiose, tragique ou plat… mais il reste à 5 galions ! Lily réfléchit un peu. Elle n'a pas d'argent sur elle, et pour cause, elle s'apprêtait à semer la panique dans le village et non pas à faire du troc avec un type tout aussi mystérieux que loufoque. Elle se résigne peu à peu, il semble que l'avenir ne et les révélations ne soient pas au programme du jour. Elle devrait sûrement prendre immédiatement le chemin de la sortie. Au lieu de cela elle reste et affiche un petit sourire tout en abaissant son capuchon. Elle ne sait pas à quoi elle joue. Cet homme pourrait être n'importe qui et donc la mettre en danger une fois son identité d'indienne révélée. Mais aujourd'hui elle n'a pas envie de mentir et de tromper. Un comble quand on sait que jusqu'à il y a quelques minutes c'était son objectif ! Elle secoue ses longs cheveux ébène et sourit tristement. « Et bien je crois qu'il n'y aura pas de lecture d'avenir pour moi aujourd'hui...je n'ai pas un seule sou sur moi. Soit, je repartirais avec mes doutes. » Mais elle ne peut pas se détourner. Elle ne peut pas partir tant qu'elle n'a pas vu son visage en intégralité. Cette aura de mystère l'intrigue plus qu'elle ne devrait, tandis que lui reprend la parole. - On cherche à échapper à un destin cruel ? Un petit rire franchit la barrière de ses lèvres. « Si un mariage forcé avec celui qu'on aime mais qui ne nous aime pas, une île qui part à la dérive et des gens bizarres à tous les coins de rue correspondent à un destin cruel alors oui, je suppose que oui. » Et elle lui sourit avec amabilité. « Vous avez un remède miracle pour ça ? »

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LILY & EZECHIEL

« On croit que les rêves, c’est fait pour se réaliser. C'est ça, le problème des rêves : c’est que c’est fait pour être rêvé.  » C'est bien pour ça que l'espoir et tous ces trucs un peu déments ne savent pas perdurer, parce qu'ils ne sont pas fait pour se concrétiser mais pour demeurer des étoiles qui nous survolent et qu'on ne peut pas atteindre. Nos étoiles contraires. Lily, t'as des papillons dans les yeux qui ne demandent qu'à s'envoler. Tes yeux sont tellement grands que même tes larmes se noient. Rêver après tout c'est comme respirer en altitude alors qu'on s'apprête à tomber du haut d'un précipice, ça demande beaucoup d'efforts mais au fond ça ne sert à rien. Bien qu'une part de l'âme de la princesse ne demande qu'à continuer d'y croire...Mais aller de l'avant, évoluer -quand bien même ce serait vers quelque-chose de négatif- c'est ce qu'il y a de plus normal, n'est-ce pas ? On ne peut pas claquer la porte au nez de l'avenir, même si il est hideux et nous effraye. Pour l'instant Lily se contente d'abaisser son capuchon et de fuir le regard de l'inconnu qui lui fait face pour regarder s'agiter ses mains agiles, peu certaine qu'il acceptera quand-même de lui lire son avenir même si elle n'a pas d'argent.

Il lui semble que le rythme de la respiration de son interlocuteur est un peu différent, mais elle se force à ne pas y faire attention et continue de faire tournoyer ses doigts au-dessus de la flamme de la bougie ocre. Elle relève finalement la tête. Il la regarde, interloqué. Elle observe ce sourire fugace qui s'égare quelques seconds sur ses lèvres et fronce un peu les  sourcils, cette atmosphère est étrange. Mais contre toutes attentes il commence à tirer les cartes comme elle n'osait plus l'espérer. Mais son sourire se fane rapidement quand il commence à décrypter les symboles. « Accepter...C'est bien joli comme mot l'acceptation. Comment peut-on accepter quelque-chose qui au quotidien nous lacère le cœur ? C'est comme saigner tout le temps. Une grosse hémorragie. Une plaie béante qui s'infecte et brûle. Seulement, il n'existe aucune cure permettant de guérir cette plaie là. » Elle reprend sa respiration, et son regard se fait triste et lointain. On pourrait croire qu'elle le fixe mais son regard le traverse et en réalité c'est loin dans ses pensées qu'elle s'égare. Plus loin que de raisonnable. « Le seul remède serait peut-être le bannissement des sentiments...On peut à peu près y arriver en ce qui concerne l'amitié. Je l'ai fait une fois, c'était il y a si longtemps. Un millénaire peut-être, qui sait ? Quoiqu'il en soit les larmes ont arrêté de couler il y a peu, et ce n'était qu'un ami. Quoique, peut-être celui qui valait le plus le coup que je continue de sourire. J'aurais passé ma vie à sourire juste pour l'écouter rire et le regarder me sourire en retour. »

Une larme se forme au creux de son œil droit mais elle refoule la perle salée d'un léger battement de cil très princier. C'est définitif, la « vaillante princesse du clan indien » perd toute crédibilité face à un simple cartomancien dans une tente étrange. « Mais c'est terminé, et encore une fois ce n'était qu'une amitié, alors bannir l'amour ça semble impossible. Bien que parfois j'en rêve... » Un petit rire cynique lui échappe. Elle n'aime pas ça. Cette ambiance ne lui plaît pas et se confesser au premier venu par faiblesse encore moins. Elle devrait sortir d'ici rapidement...D'autant plus qu'elle peut cerner quelque-chose de familier dans cette pièce sans savoir ce que c'est et ça l'angoisse. « Mais je ne sais même pas pourquoi je vous raconte ça. Vous devez me prendre pour une folle. Pardon, je ne suis qu'une idiote. » Nouveau soupire à fendre l'âme. Une  rêveuse idiote qui s'est trop accrochée aux ailes des papillons, pendant trop longtemps et qui maintenant fait connaissance avec la terre ferme. « J'ai un peu de mal à croire en un renouveau quand ça fait des semaines que je ne rêve que de m'enfuir pour échapper à ce flot de désillusions qui m'entraîne...Vous savez ce que ça fait vous ? » Elle lui fait un petit sourire encourageant, comme pour l'encourager à se confesser lui aussi. Elle ne veut pas être la seule à dire des choses qu'elle juge intime. Certes elle avait qu'à mieux réfléchir avant de parler, mais...

« Mais vous avez peut-être raison, Neverland vaut le coup qu'on se batte pour elle. Cette île m'a vue naître, elle a été témoin de tous mes sourires et de toutes mes peines, elle ne mérite pas de brûler entre les mains d'hommes ordinaires. On ne battit pas de châteaux sur des ruines et des cendres. Enfin, ne le prenez pas pour vous hein...C'est juste que c'est mon monde, et tous ici vous ignorez tout de ce qu'il était avant. » Au fur et à mesure qu'il continue de lui en dire plus sur son futur elle boit ses paroles. Il a une manière de raconter les  choses fantastique, du genre qui fait voyager. Mais surprise elle hausse les sourcils. Vient-il de la tutoyer ? Comme si c'était quelque-chose de totalement ordinaire ? Comme s'ils se connaissaient ? Déconcertée elle fait jouer ses doigts mécaniquement sur le bois du bureau, nerveuse, préférant fuir son regard tant la situation est étrange. « L'espoir...C'est un mot que j'aime beaucoup, mais il est bien là le problème. J'espère, et c'est lorsque nous espérons que nous tombons. La chute est encore plus douloureuse que lorsqu'on croit que tout est dors et déjà perdu d'avance. » Elle n'a fait que ça espérer, toujours. Espérer pour Peter, espérer que son meilleur ami revienne...Mais on ne construit pas de château sur des cendres.

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LILY & EZECHIEL

Lily. Ne pleure pas jolie Lily, belle fleur qui tente de ne pas faner, rose séchée et oubliée dont les pétales se sont envolées. Il y a si longtemps qu'il a du l'oublier maintenant, si longtemps qu'il l'a laissée. Des années durant elle est restée à se demander si la faute ne venait pas d'elle. Des années...Oui, déjà. Le temps s'étire à Neverland mais pour certains il passe bien plus vite qu'on ne peut l'imaginer. Il l'a laissée tomber, l'a abandonnée alors qu'il lui avait fait des tas de promesses. Leur écho se répercute toujours dans sa tête. Il aurait pu lui promettre le ciel qu'elle l'aurait suivi dans une aventure supplémentaire sans poser de questions.

La  violence infligée à son cœur s'entrechoque avec son esprit qui se vide de ses rêves. Mais qu'est ce qu'une enfant sans rêves ? Plus grand-chose assurément, alors elle n'est pas sûre de pouvoir dire qu'elle en est encore une. Elle aurait écrit son nom au creux de son poignet, juste pour oublier la douleur de l'attendre. S'agit-il encore de Peter ? Ne s'agit-il plus uniquement de sa belle amitié envolée ? La plus belle, c'était la plus belle des amitiés ! « Est-ce que grandir demeure la seule solution au finale ? N'a-t-on pas le choix ? Ne peut-on pas lutter ?! » Sa voix frise les aigus avec agressivité, elle se brise. Elle est épuisée de lutter. « On n'inverse pas le cours du temps je suppose...Il y a une chose au monde, l'une de celle que j'ai le plus aimé, que je donnerais tout pour récupérer. Mais je ne sais même pas quelle réaction j'aurais face à cette chose du passé. Faut dire que pour moi il a fait pire que me planter un couteau dans le dos. Peut-être qu'il est trop tard finalement... » L'indienne se sent mise à nue avec toutes ces choses désagréables qui remontent à la surface. Ou bien c'est parce que ce sont des souvenirs agréables à la base que son cœur se serre fort. Est-ce que c'est de la colère ? Peut-elle exploser d'amour comme de haine ? On a coupé les ailes du papillons qui a chuté comme jamais. Qu'a-t-il fait d'elle si ce n'est donner un coup de poing de plus sur son cœur ? Il était son rêveur, il lui promettait qu'ensemble ils toucheraient les étoiles...Ensemble. Elle n'a fait qu'effleurer du bout des doigts la brume qu'a laissé son absence. Elle a bu ses paroles sans réfléchir, elle l'a serré dans ses bras, elle lui a dit bonne nuit. C'était un adieu à demi mots. Une dague déchirant son âme. Sa naïveté a volé en éclats, tout comme une part de son enfance ce jour là. Peut-être a-t-il fait le bon choix à cette époque ? Aujourd'hui encore elle n'en sait rien. Deux étoiles identiques, tout autant que contraires. Dans ses bagages il a emporté son sourire.

Lily fait toujours jouer ses doigts sur le bois, par nervosité et perte de contrôle. Sa main n'est qu'à quelques centimètres de la sienne. C'est tellement anodin et pourtant...Cette conversation avec ce type qui n'est rien de plus qu'une sorte de prestidigitateur est étrange...Elle devrait être tout ce qu'il y a de plus ordinaire, et pourtant le moindre mot de cet homme dont elle ne connaît même pas le nom ravives les braises de ses souvenirs. Il reste donc des braises...Elle qui croyait que seule une traînée de cendres demeurait. « Vous êtes parti de chez vous n'est-ce pas ? Ça n'a pas été trop dur de trouver le courage nécessaire ? Votre passé ne vous manque-t-il pas ? » Elle papillonne encore des cils, espérant qu'il ne peut pas voir à quel point ses yeux sont embués de larmes qu'elle refuse de laisser couler. « Parfois j'ai l'impression d'être la fautive dans tout ce qui m'arrive. C'est idiot n'est-ce pas ? Mais qui sait, si ça se trouve il m' abandonnée parce que la vie avait mieux à lui offrir ailleurs. Un peu comme vous. Enfin, je ne dis pas que vous avez abandonné quoique ce soit...C'est juste que...Oui, c'était un abandon. J'ai été celle qu'on laisse sur le bord du chemin, pour la toute première fois. Je ne crois pas que ce soit pardonnable. » Elle ignore tout. Elle ne sait pas à quel point ses mots peuvent blesser, à quel point ils peuvent être meurtriers là maintenant.

Il rit doucement et sans aucune réflexion, sans aucune logique elle saisit sa main. Elle le regarde, un peu embarrassée, rougit et la lâche de si tôt. Elle se giflerait. Tout ça n'a pas de sens ! « Je suis désolée...Je...Pardonnez-moi. » La rougeur de ses joues ne daigne pas s'estomper. « Vous êtes peut-être l'un des seuls ici à vouloir préserver ce monde...Mais moi je connais tout de lui, alors un jour si vous voulez je vous en montrerais les recoins les plus magiques. C'est le moins que je puisse faire pour vous remercier de votre gentillesse. » Ce vague à l'âme qu'elle observe au fond de ses yeux la rend un peu mal à l'aise, et triste aussi sans qu'elle ne puisse se l'expliquer. Ils ont tous les deux la même mélancolie comme tatouée sur leur cœur, comme un étendard qui prouve que vivre est une aventure éreintante...mais, une aventure tout de même ? « Alors dans ce cas il aurait fallut me rattraper quand il était encore temps ! » Une larme roule le long de sa joue, la vilaine qui s'échappe car l'émotion est trop forte. « Maintenant c'est trop tard et tout ça c'est des conneries. On dissimule des rêves à droite et à gauche mais toute cette magie s'estompe un jour et la réalité fait mal, tellement mal qu'elle nous fait suffoquer et nous noie...J'ai peur. Je ne suis qu'une gamine effrayée en réalité. »

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LILY & EZECHIEL

You're the king and i'm a lionheart. Rien n'égale la douleur de l'absence. Lily a bien appris ses leçons, de celles qui brisent, de celles qui tuent. Aujourd'hui elle n'est plus la même. Pour cela elle lui en veut bien plus qu'elle ne voudrait. C'est lui qui l'a poussée à grandir, la jetant dans un monde cruel sans une main secourable pour l'aider. Il s'est détourné d'elle. Il a trompé son imaginaire de petite fille. Sans remords ?... Les promesses sont faites de la même matière que les rêves. Elles sont si fragiles que lorsqu'on tend un doigt pour les saisir, elles s'évaporent. Elles s'enfuient aussi vite qu'elles apparaissent. Toutes ses nuits ou elle s'est recroquevillée sur elle-même, les larmes marbrant ses joues hâlées. Sa bouche s'entrouvrant à allure régulière pour laisser échapper deux petits mots si précieux que visiblement il n'a jamais entendu : « reviens-moi. ». Mais c'était il y a longtemps n'est-ce pas ? Certains diraient qu'il est temps d'avancer...Mais cette visite chez le cartomancien fait de nouveau exploser le cœur de la jeune fille. C'est la deuxième balle, le deuxième impact infiniment douloureux qu'elle ne s'attendait pas à encaisser. La petite fille qui lui prenait la main pour l'emmener se promener partout et se rouler dans l'herbe près des ruisseaux...Tout ça c'est fini ! Une deuxième larme amorce sa chute mais la princesse la stoppe net. Elle ne veut pas qu'il en voit plus. Ou alors elle aimerait qu'il la rassure, qu'il lui murmure que tout va s'arranger, qu'il y a encore de l'espoir. Mais pourquoi ? Après tout elle ne le connaît que depuis quelques minutes. Peut-être que quelque-chose dans ses  yeux lui rappelle son ami ? Une faible lueur ? Une magie en sommeil ? Ou bien est-ce l'appel des rêves ? « Dis...Tu parles de ton passé, mais tu ne dis rien de plus. C'était ou ? C'était quand ? Et...pourquoi t'es parti ? » Le tutoiement s'est imposé, et elle s'en étonne elle-même. Elle se sent rarement à l'aise avec les inconnus. Elle est agressive, voir sauvage et loin d'être agréable. Elle devrait l'être encore plus avec un supposé ennemi. Mais il lui inspire quelque-chose sur lequel elle n'arrive pas à mettre le doigt. La confiance ? La compassion ? En tout cas c'est suffisant pour faire renaître sa curiosité naturelle et elle a pendant quelques secondes l'envie fugace de lui demander de fuir avec elle. D'aller n'importe ou, tant qu'il reste les étoiles, le soleil et les histoires. Tant qu'ils sont là tous les deux. Ensemble on ira au bout du monde, n'est-ce pas ? Toi et moi. Le roi et son ange. Le poète et sa muse. Ensemble, au bout des mondes mêmes. Des aventuriers candides. Et le voyage ne sera que plus beau si on reste main dans la main. On écrira les plus belles histoires. Rien n'égalera jamais l'absence mais, si on essayait ? « Je suis sûre qu'ils ne t'en n'ont pas voulu longtemps. Tu avais sûrement de bonnes raisons. Toi...tu devais en avoir de bonnes. » Elle prend sa main, elle la lâche, elle perd un peu le fil de tout ce qui se passe. Y a -t-il une logique à cette conversation ? Y a-t-il un signe du destin dans cette rencontre bizarre ? Lily est si déstabilisée qu'elle reste un petit moment silencieuse et la bouche entre-ouverte, comme atterrée par son propre geste. Et puis sa réaction à lui aussi est bizarre...On dirait qu'il veut la rattraper et puis il éloigne ses mains le plus possible. La petite princesse n'arrive pas à cerner le personnage. Lil...Il allait dire son prénom ? Il...connaît son prénom ? Le visage de Lily blêmit un peu et elle aussi se crispe. Son visage se durcit légèrement. Elle ne sait pas comment réagir et quand elle est désarçonnée elle a tendance à se renfermer. Elle sert ses poings sous le bureau, plongée dans l'incompréhension la plus totale. Sa voix n'a plus la même tonalité qu'au début de la conversation. L'indienne est tellement perdue qu'elle en a presque des vertiges. « Alors, tu es un adulte qui rêve encore ? Comment est-ce possible ? On m'a toujours dit que devenir adulte c'est renoncer à la fantaisie de nos vies d'enfants...C'est tuer les rêves...Peter me le dit souvent. » Ses mains tremblent sous le bureau. Sa respiration s'est accélérée et elle jette un coup d’œil nerveux à l'entrée, comme si elle comptait s'enfuir. Pourtant quelque-chose la maintient assises là, les yeux écarquillés comme une idiote. Elle a l'impression de revivre une de ces scènes d'il y a longtemps. Celles ou elle parlait des heures de poussière de fée et de voyages sur la mer, nichée au creux de ses bras. Comme si rien rien ne pouvait les détacher l'un de l'autre. Indissociables. Celui que jamais elle n'oubliera. En dépit de ses efforts, elle ne peut pas. « Ce monde est mort. Comme mon enfance. Comme des tas d'autres choses ! Et parfois c'est comme si cette île elle-même ne demandait qu'à s'éteindre. Ce monde est mort il y a trop longtemps, et les ruines ne se relèvent pas de terre par la simple force de l'envie. Il a laissé des ruines dans mon cœur, partout ! Des trous béants qu'aujourd'hui j'ai essayé de recoudre...mais ils doivent juste ressembler à un vieux patchwork moche. » Elle fuit son regard, joue nerveusement avec ses doigts. Elle essaye de contrôler ses petits tremblements, pour qu'il ne la trouve pas encore plus bizarre. Il doit déjà penser qu'elle a un grain, définitivement. Et pourtant... « Tu allais dire mon prénom. Pourtant on ne se connaît pas, n'est-ce pas ? C'est un autre tour de magie ? » Demande-t-elle les yeux embués de larmes, trouvant ça stupide à peine le dernier mot prononcé. On ne devine pas le prénom des gens quand on ne les a jamais vu. Ça c'est bon pour les contes d'enfants.

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LILY & EZECHIEL

Même le vent n'est pas assez puissant pour disperser les ruines du passé. Les ruines de leur passé. C'est à cause des souvenirs qu'on finit toujours par souffrir. La mémoire a beau être sélective, ça ne nous aide pas toujours. Parfois elle s'arrange pour verrouiller habillement tout ce qui recèle la douleur. Puis tout ressort un jour toutes griffes dehors, prêt à tout lacérer. Prêt à écorcher jusqu'à la dernière parcelle de bonheur. Leur amitié c'était...plus grand que l'océan ? En tout cas selon elle elle n'avait pas de limites, et elle sait bien qu'elle n'en aurait jamais eu...si seulement il était resté. Si leurs doigts si souvent entremêlés ne s'étaient jamais séparés. Deux noms qui s'élançaient à la conquête de tout ce qui les entourait sans jamais échouer. Ils avaient fait du monde leur empire. La princesse et le prince. Ils étaient invincibles, ils étaient magiques. Peut-être que finalement ils étaient les étoiles ? L'un et l'autre se protégeant mutuellement comme le font les étoiles gardiennes. L'écho des rires d'enfants est encore porté par le vent parfois, quand Lily n'est pas assez concentrée pour faire en sorte que ses émotions restent bien sagement à l'intérieur d'elle. Y a-t-il eu un moment récemment ou elle a rit comme ça ? Non. Elle ne rit plus de la même manière. Aujourd'hui sa tête est pleine de problèmes d'adultes, de ceux qui ne devraient pas être là. Elle a essayé de les empêcher de s'emparer d'elle, longtemps, mais en vain. Ils n'ont pas demandé la permission pour entrer et se sont contentés de fracasser la porte, l'obligeant à changer elle aussi. S'il la voyait aujourd'hui il ne la reconnaîtrait surement pas. Peut-être même qu'il aurait oublié ? Faut dire que c'est si loin maintenant tous leurs jeux et leurs rêveries d'enfant. Ezechiel...Le bruissement des feuilles des arbres continue de murmurer son prénom. Pourtant quelqu'un m'a dit, que...tu m'aimais encore. “C'est drôle, c'était notre projet à lui et moi. Nous rêvions de  voir tous les trésors du monde, ensemble. Je me demande s'il a réussi. Je me demande s'il est heureux à l'heure qu'il est. Peut-être que les belles couleurs d'ici lui manquent...au moins un peu.”

Elle penche un peu la tête et joue nerveusement avec ses cheveux. Elle les entortille frénétiquement autour de ses doigts. C'est un tic nerveux qu'elle a depuis qu'elle est toute petite et qui correspond toujours à un moment d'anxiété. Seulement, il faut très bien la connaître pour savoir à quoi ça correspond. Il connaissait tout de ses petites manies. Quand elle faisait ça, souvent il prenait ses mains dans les siennes et leur donnait un baiser en promettant que tout irait bien tant qu'ils restaient ensemble. Ses mains se souviennent encore de la chaleur rassurante des siennes lorsqu'elles les enveloppaient. “Dis, c'était qui cette personne ? Ton amoureuse ?” Un sourire un peu espiègle vient jouer pendant quelques secondes sur ses lèvres avant de faner tout aussi rapidement. C'est toujours drôle de parler comme la gamine qu'elle n'est plus. “C'est quoi ce regret ? Un truc grave ? Parce que je pense que rien n'est vraiment grave si finalement on a trouvé la liberté qu'on espérait. Je suppose qu'il n'y a que la liberté qui vaut le coup qu'on se batte pour elle.” Elle l'écoute attentivement. Chaque mot, chaque syllabe se détachant harmonieusement. Il a le don des conteurs, de ceux qui rendent les rêves encore plus beaux qu'ils ne le sont déjà. Si bien qu'elle pourrait rester là à l'écouter pendant des heures. Bien qu'elle continue de le trouver bizarre. Certaines phrases la font tiquer sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi. Elle s'assoit en tailleurs dans la chaise qu'elle occupe depuis quelques minutes déjà et pose ses poings toujours serrés sur ses cuisses. Comme ça elle n'est plus tentée de s'approcher autant de lui que tout à l'heure. Elle ne comprend toujours pas ce geste. Il lui parle et elle se questionne. Accepter de grandir ? Comment est-ce possible quand la vie des enfants est si douce et paisible ?

“Je ne comprends pas cette obsession pour l'âge adulte...Sérieusement, qu'est-ce qu'il vous apporte de plus à part des douleurs plus vives ?” Ou que tu sois Ezechiel, est-ce que toi aussi tu as cet enfant en toi qui vit toujours ? “Tu sais je crois qu'une partie de mes  croyances se sont effondrées quand il a claqué la porte. C'était comme un coup d'épée violent au milieu d'elles. Dans mon cœur aussi en fait.” Elle l'observe à présent. Plus qu'elle ne l'a fait depuis le début de leur entrevue. Alors qu'il fuit son regard pour une raison qu'elle ignore elle réfléchit. Ses yeux noisettes ressemblent tellement aux siens. Et il raconte les histoires avec autant de passion et d'émotion que lui. Comme si on pouvait refaire le monde avec des mots. Comme avant. Elle ne sait toujours pas son nom, mais il a ce quelque-chose d'hypnotique qui finalement lui fait mal. Peut-être devrait-elle arrêter des les comparer ? Et puis elle est perturbée. Elle voit bien qu'il est aussi crispé qu'elle, mais elle n'arrive pas à savoir pourquoi. Les mots lui échappent. Elle est perdue, totalement perdue, comme au cœur d'une nuit d'encre sans lumière ou son cœur a si froid. La magie de la vie assez forte pour réunir deux êtres. “Cette magie est stupide alors. Elle fait mal plus qu'autre chose, et tout le monde sait bien que ça ne se produit qu'une fois ces trucs là.” La princesse soupire. Elle se rend bien compte qu'au fil du temps et des désillusions elle est devenue bien plus terre à terre. La fantaisie elle n'y croit plus que la nuit quand le sommeil la possède. Et encore, c'est lorsqu'elle arrive à dormir.

Elle se souvient que parfois elle fuguait du village la nuit, et ils allaient dormir l'un contre l'autre au bord de la rivière. Elle se souvient...”Je l'aurais suivi oui, bien sûr! Je l'aurais suivi envers et contre tout, jusqu'au bout et même plus loin encore. On aurait pu bâtir un empire juste avec nos sourires. On serait devenus les rois du monde. Peut-être pas vraiment mais...au moins ceux de notre monde. Je serais restée, toujours, tout le temps et sans poser de questions. J'aurais vogué sur les plus beaux océans par tous les temps ! Je me serais battue s'il avait fallu le faire ! Je l'aurais suivi au bout du monde s'il me l'avait demandé. Au bout des mondes même ! Voir plus loin..Main dans la main on aurait été plus puissant que tous les autres. Plus magiques également. Nos âmes  toujours plus complémentaires. On ne fonctionnait qu'à deux et...J'aurais suivi quelqu'un comme ça si ce quelqu'un me l'avait demandé. Quelques petits mots glissés au détour d'un rire, et la vie était à nous.” Elle a débité tous les mots sans faire de pause. Essoufflée, elle n'a pas fait attention mais au cours de son monologue de nouvelles larmes se sont mis à dévaler ses joues. Sans qu'elle ne puisse les retenir cette fois-ci. Est-ce ça l'expression de la “réelle” tristesse ?  

you may say i'm a dreamer...

LILY & EZECHIEL

Well you only need the light when it's burning low. Lily continue de se demander comment elle peut toujours être vivante et surmonter les obstacles sans celui qui était son guide, comment et ou elle puise la force. Mais, quelle force après tout ? Celle de demeurer incomplète sans réagir ? Celle d'écrire un monde triste et gris au fil de ses sanglots ? Depuis ce jour ou il l'a laissée derrière lui son âme est si vide que si le vent cherchait à la percer de son souffle il ne rencontrerait aucune résistance. Elle qui a lutté longtemps pour que les sursauts d'espoir ne s'éteignent pas s'est abandonnée à la vie sans lui. Mais est-ce encore ce qu'on peut appeler la vie ? Elle a même baptisé des étoiles avec leurs noms ! Bien évidemment jamais il ne l'apprendra...Pourtant deux merveilleuses et brillantes étoiles scintillent chaque soir dans le ciel de Neverland et lui rappellent ce passé qui l'écorche. Son cœur est à vif depuis si longtemps, et maintenant elle a compris que ce ne sont pas les étoiles qui le ramèneront auprès d'elle. Il l'a abandonnée, elle devrait le détester de tout son cœur, de tout son être...mais elle n'y arrive pas. Pendant trop longtemps il a été son tout, sa vie. Alors ça faisait d'autant plus mal quand les étoiles, à qui elle murmurait son unique vœu tenant en deux petits mots aussi simples que « reviens-moi », ne répondaient jamais. Si bien que la plupart du temps elle ne les contemple plus. Elles font simplement partie du paysage, des douleurs du passé, des plaies qui auparavant étaient béantes et qu'elle essaye doucement de recoudre.

Ensemble ils voulaient visiter la lune, naviguer jusqu'à l'épuisement...Only miss the sun when it starts to snow. Les rêves sont fait de  la matière la plus fragile du monde et les yeux existent pour faire l'inventaire des larmes une fois qu'ils se sont évaporés. « Et bien quoi ? Elle est si bizarre cette question d'amoureuse ? C'est la manière dont tu parles de cette fille...On dirait qu'elle était le soleil dans tes ténèbres, le rêve  au milieu des cauchemars. Comme une muse...ou un truc comme ça....mais je ne suis pas très douée en métaphores artistiques. » La princesse a arrêté d'agresser ses cheveux par nervosité et se contente maintenant de les lisser du bout des doigts par des mouvements répétés. Elle est rassurée, la conversation a presque regagné la candeur magique qu'elle avait au départ quand elle a poussé les tentures de l'Orchidée. Comme quoi être audacieuse amène parfois à des expériences inattendues. Malgré tout ses yeux restent embués de larmes qui n'hésitent pas à couler de temps en temps. Elle fait les frais du trop plein d'émotions qu'elle a contenu sagement pendant des années. Peut-être une trentaine ? Une cinquantaine ? A vrai dire l'absence s'est faite tellement étouffante et douloureuse qu'elle en a perdu le compte du temps. « Dis, c'est quoi le nom de cette fille ? Parce que pour avoir été aussi magique je suis sûre qu'elle devait avoir un prénom magnifique ! » Elle dit ça sur un ton presque enfantin, sans se rendre compte de l'impact de sa question. Et elle enchaîne sur le même ton, enfonçant des poignards de plus en plus aiguisés dans le cœur de son interlocuteur s'en même s'en douter un instant. « Il s'appelle Ezechiel...je veux dire, le garçon dont je parle depuis tout à l'heure. Je l'appelle toujours Eze' parce qu'Ezechiel c'est trop long...je...Je l'appelais. » Une nouvelle larme et elle serre ses poings si fort que ses ongles sont à deux doigts de lui perforer la peau. Elle ouvre ses mains et les regarde un instant, surprise de les trouver aussi rougies. Elle soupire et plonge ses yeux dans ceux du cartomancien, chose qu'elle fait pour la première fois depuis le début de leur entrevue.

Il y a tellement d'émotions semblables aux siennes au fond de ces yeux noisettes qu'elle voudrait enlacer cet homme dont le nom lui est toujours inconnu juste pour lui montrer qu'il n'est pas seul. « On aimait se donner des surnoms. Mais je me demande si lui y pense encore parfois. Il doit avoir suivi ses rêves et être si loin maintenant, puis c'était il y a si longtemps. » Quand elle lui parle de ce qu'elle aurait été prête à faire pour suivre les rêves de quelqu'un cherchant après un nouveau monde il se met à trembler. Elle est tellement surprise par une telle réaction qu'elle ne réfléchit pas bien avant de se lever et de poser sa main sur celle qu'il essaye difficilement de maintenir stable sur le bureau depuis tout à l'heure. Cette fois-ci les secondes s'égrainent et elle ne retire pas sa main sur la sienne. Elle se contente de soutenir son regard de nouveau. « Peut-être que oui. Peut-être que je ne réfléchirais pas et que je m'engagerais dans cette quête d'un monde merveilleux de manière tout à fait spontanée. Je n'ai jamais eu matière à me poser la question. J'adorerais...Peut-être. Mais aujourd'hui ma vie est remplie de nombreuses responsabilités et tu l'as dit toi-même, ça ne se produit qu'une fois ce genre de trucs...Alors peut-être que si le bonheur se présentait de nouveau j'essayerais d'y croire...Mais si c'est pour que je tombe  de nouveau de haut, à quoi bon ? » Un soupire à fendre l'âme lui échappe et sa main s'égare quelques secondes sur la joue du cartomancien, mais à peine l'a-t-elle frôlée qu'elle vient de nouveau rejoindre ses doigts sur le bureau. Elle rougit un peu, son geste était bizarre, mais cette conversation entière l'est après tout. N'est-ce pas ? « Tu n'as jamais pensé à retourner chercher cette fille dont tu parles ? » Et alors qu'elle ne le lâche pas du regard, que sa main est toujours contre la sienne, une larme glisse de nouveau le long de sa joue comme une lame impitoyable tailladant tout sur son passage. Only know you love her when you let her go.

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LILY & EZECHIEL

Dis, pourquoi ça fait mal comme ça de se rappeler ? Pourquoi les souvenirs ont cette propension à nous briser avec autant de force que la plus brutale des massues ? Si l'on peut faire des efforts pour museler les émotions, on ne met jamais la mémoire dans une cage. Elle fait ce qu'elle veut. Elle est libre et indomptable, et ça depuis toujours. Elle est notre plus grand rempart contre la folie. A moins qu'elle ne puisse aussi en être l'instigatrice. Est-ce de la folie de continuer de pleurer avec autant de peine pour ce qui a eu lieu il y a des années ? Ne faut-il pas avancer, prendre une énorme pelle et tout ensevelir à jamais ? Peut-être que ce sont les cicatrices qui permettent de grandir. Faut-il donc alors faire le maximum pour qu'elles disparaissent ? Est-ce bien nécessaire ? Tant de question mais aucune réponse ne vient. Ezechiel, pourquoi ce poignard enfoncé au plus profond de mon cœur ? Pourquoi la blessure ne veut pas guérir ? Lui expliquera-t-il seulement un jour. Elle se demande s'il est loin, si ses larmes font parfois écho aux siennes. Parfois il lui disait que même en larmes elle était jolie. Qu'en penserait-il aujourd'hui ? Elle voit un sourire apparaître puis mourir sur les lèvres de son interlocuteur en quelques secondes. Elle essaye de lui rendre, mais son sourire doit être plus proche de la grimace de douleur à l'heure actuelle. Elle se gifle mentalement car elle demeure une princesse et ce n'est pas le moment de flancher mais...elle doute d'avoir été forte un jour depuis son départ. « Il y a des batailles et des dilemmes pour lesquels le cœur n'est pas assez fort. Après tout nous ne sommes que des humains. C'est normal de flancher, d'avoir des doutes, d'aspirer à autre chose. C'est normal de souffrir, également. » Ses mains reviennent jouer nerveusement avec ses cheveux. Tantôt elle les tresse frénétiquement, tantôt elle chasse du plat de la main les larmes qui s'amassent sur ses joues et qu'elle ne cherche même plus à dissimuler. Ici, avec cet homme, elle n'a pas peur. Elle a l'impression que ses faiblesses n'ont plus d'importance. Elle sent que ce n'est rien, qu'elle pourra se  relever quand-même quoiqu'il arrive désormais. Mais le pourra-t-elle vraiment ? Il lui donne du courage, et ce courage qu'elle n'a plus senti depuis des années, de manière aussi puissante qu'il se diffuse partout à l'intérieur d'elle. Mais alors, comment ça se fait que ce soit en même temps si douloureux ? We were soft and young, in a world of innocence. Elle soupire. Elle peste intérieurement contre cette jeunesse éphémère, qui fait bien plus de mal que de bien, qui brise...qui tue ? A quoi ça sert de vivre toutes ces belles choses pendant l'enfance si c'est pour qu'elles nous échappent en nous crevant le cœur un jour...Si c'est pour qu'elles nous tournent le dos sans même un bref salut...Lily aurait décroché chacune des étoiles du ciel une à une juste pour un bref salut.

Plus le temps passe plus elle  se pose des questions, plus elle se demande comme elle réagirait si elle venait un jour à retrouver Ezechiel. Tant d'émotions s'entrechoquent en elle, sa  tête en tourne légèrement. Elle lâche ses cheveux pour s'éventer un peu de sa main. Il fait chaud ici tout d'un coup. Est-ce parce qu'elle a  trop pleuré ou parce qu'en elle il y a un mélange de peine immense comme de rancœur ? Elle ne sait pas que faire, quoi faire d'autre que de continuer de verser des larmes amères. Now you've gone away, only emptiness remains. Elle offre à son interlocuteur un petit sourire contrit comme pour s'excuser. A la base elle est entrée pour connaître les mystères de son avenir et non pas pour remémorer au cartomancien de douloureux souvenirs, ni pour remuer les siens. Décidément, elle fait n'importe quoi aujourd'hui. Elle se demande si les autres sont venus et s'ils sont finalement rentrés sans elle. Elle se demande ce qu'il vont dire si c'est le cas. Elle se demande également si le soleil s'est couché maintenant. Mais au fond peu importe n'est-ce pas ? Au fond elle ne veut pas que cette conversation se termine. Même si  il pleut dans son cœur elle veut qu'il continue de lui parler de rêves et de couleurs, jusqu'à ce qu'elle se sente un peu rassurée. Mais est-ce seulement possible maintenant ? « Il y a  des jours ou j'aimerais que toute trace de lui s'envole, parce qu'enfin j'arrêterais d'avoir mal. Mais je suppose que moi sans lui ça n'existe pas. Ça ne marcherait pas. Même si aujourd'hui je ne m'accroche plus qu'à un fantôme. C'est ça le plus triste. » Et c'est à ce moment là qu'elle saisit sa main, qu'elle ne la lâche plus, qu'elle ne sait pas ce qu'elle fait. Il lui inspire une si grande confiance qu'elle a l'impression de le connaître depuis des années. C'est étrange, tellement étrange.

Leurs mains scellées semblent s’emboîter à la perfection comme si elles étaient destinées à être ensemble, à ne jamais se séparer. Lily appuyée contre le bureau le fixe intensément pour tenter de décrypter ce qu'il pense de son geste, mais elle ne voit que du brouillard au fond de ses prunelles. Elle pose sa main sur sa joue quelques secondes. Une caresse des plus éphémères. Elle ne sait pas à quoi ça rime tout ça. Pardon.  Elle voudrait s'excuser, courir, crier. Mais de quoi est-elle coupable ? De rechercher un réconfort perdu depuis si longtemps ? Et soudain la bombe est lâchée. Les lèvres de la princesse s'entrouvrent pour laisser passer un murmure consterné, qui virevolte aussi vite que le vent. Alors qu'une larme unique roule jusqu'au creux de la mâchoire de cet homme...de celui qui...Alors que cette larme coule elle lâche brutalement sa main et recule de  quelques pas. Devrait-elle fuir à présent ? Devrait-elle pleurer de joie ? Devrait-elle le gifler ? Devrait-elle...Elle se contente de rester là, droite comme une statue, les poings serrés le long de son corps à s'en briser les os. « C'est impossible...Tu ne peux pas... » Ses mots se bloquent dans sa gorge. Sa respiration est éreintée. Le monde s'écroule. Ou bien il se ranime. Comment réagir ? Il l'a dit. Il a prononcé les deux petits mots qu'elle n'a eu de cesse de répéter pendant des années entières et désormais elle est perdue. Don't you forget about me.

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LILY & EZECHIEL

Comment réagir quand le monde tangue trop fort et qu'on se retrouve presque au-dessus du vide ? Il y a tellement d'émotions qui se bousculent en elle qu'elle ne ressent plus rien. Hermétique. Elle se contente de reculer, profondément choquée. Les pièces du puzzle s’emboîtent dans sa tête. Certaines phrases ne trompent pas. Elle aurait du deviner ! Mais peut-être que sa lueur d'espoir était encore plus faible que prévu. Parfois c'est elle-même qu'elle déteste. Elle a mal à s'en écorcher la peau, à s'en consumer le cœur. Ce regret de n'avoir pas su le retenir auprès d'elle. Ce regret qui a tant de fois enflé jusqu'à la faire exploser en larmes et tremblements nerveux. Personne n'a jamais compris ses sauts d'humeur maussades et mélancoliques mais pour elle tout a toujours été clair. C'est clair qu'en partant il avait éventré son enfance comme on blesse un animal lors d'une chasse. Elle recule, elle lui échappe. Une destinée de fuite mutuelle ?
Elle est incapable de savoir si elle prend la bonne décision.
Elle le regrettera sûrement toute sa vie. Mais qu'importe quand la plaie est déjà si béante. Trahison. Couteau dans le dos. Elle voudrait lui hurler sa colère et sa tristesse au visage avec la hargne du dernier espoir. Tant d'antithèses. Elle voudrait réussir à respirer calmement mais au lieu de ça ses battements de cœur n'ont de cesse de s'accélérer. Ses mains tremblent, elles semblent avoir leur propre volonté. Elle est secouée de sanglots. Ravagée. Ses épaules s'élèvent et s'affaissent compulsivement, suivant le rythme saccadé de ses larmes. Elle inspire profondément. Ses doigts s'attardent quelques secondes sur le bois du siège qui fait face au bureau, l'effleurant comme pour ne jamais l'oublier. Graver quelques bribes de nous dans ma mémoire, pour toujours, et c'est terriblement long toujours. Et elle lui tourne le dos. Elle résiste à l'envie de le regarder. Elle se mord les lèvres pour ne pas crier. Elle se tient les mains pour qu'elles n’échappent pas à son contrôle. Elle marche jusqu'à l'entrée de la pièce. Le pardon. Notion qui paraît plus que jamais abstraite. Un dernier pas et elle s'éloigne, peut-être pas pour...toujours ?

Un pas de plus pour se tourner de nouveau vers lui. Elle lui fait face, une ombre glacée dans le regard. Pourtant elle ne le regarde plus comme un inconnu. Ses yeux expriment autant de regrets et de tendresse que de colère et de peine. Elle le regarde comme Ezechiel. C'est pour ça que la douleur est si vive. La trahison d'un être chère est la pire du monde. La morsure de désespoir dont la cicatrisation est la plus lente. La douleur la plus vive et la plus tenace. Elle peut de nouveau plonger dans ses yeux noisettes après tant d'années. Eze', pourquoi ? pourquoi ? Mais son questionnement reste silencieux. Et si les larmes continuent à inonder ses joues, elle ne semble pas prête à vouloir le briser. Parce que l'instant est magique autant qu'il est cruel ?
Sans plus de cérémonie elle se dirige d'un pas décidé vers lui. Plus comme une enfant, comme une princesse désormais. Arrivée au niveau du bureau, plus proche de lui que durant les cinquante dernières années, elle lève son bras pour lui administrer une gifle absolument magistrale. Ses yeux le détaillent impitoyablement de la tête aux pieds. Mais ça n'a rien de salvateur. La peine ne va pas s'effacer comme ça en un claquement de doigts. On ne ravage pas des années de silence et de prières au ciel par une simple gifle, aussi impitoyable soit-elle. Alors elle tend sa main et effleure sa joue du bout des doigts. Dessinant à l'encre de ses rêves des motifs qu'elle seule comprend. Cette fois-ci le geste lui paraît encore plus légitime que tout à l'heure, parce qu'elle l'a déjà fait tant de fois. Avant, par le passé. Passé qui manque de devenir poussière. Cendres qui la font suffoquer. Sans que sa main ne s'éloigne de lui elle baisse la tête. Elle murmure un vague « Pourquoi ? » entre deux sanglots et vient finalement darder ses prunelles sur lui. Si seulement elle avait pu le retenir par un simple regard. « Eze', pourquoi ça fait si mal ? » Elle cligne des yeux et pose sa main libre sur l'une des siennes qui tremble à en secouer le bureau. Elle caresse ses phalanges bout des doigts, anéantie et pensive. Que faire maintenant ? Reste-t-il encore des choses à se dire ? Des rivières à pleurer ?