∞ tonight we are young

Lorsque que quelque chose le tracassait, Peter avait pris l’habitude de se laisser glisser de la branche sur laquelle il dormait ou veillait sur les enfants perdus pour aller se glisser dans la cabane des garçons, auprès d’Andrew Red. Il se laissait bercer par son souffle régulier et sa chaleur et s’endormait à ses côtés, en toute innocence. Ils n’étaient que des enfants à l’époque, et rien de ce qu’ils pouvaient faire ne leur semblait étrange. Oui, qu’y avait-il de mal à dormir avec un autre garçon, de chercher la sécurité réconfortante qu’il dégageait ? Sa chaleur ? Un enfant n’y voyait rien de mal, mais depuis qu’ils avaient grandi, Peter trouvait cela bien étrange. Cette nuit-là, il se glissa en silence parmi les lits sur lesquels il veilla d’un air inquisiteur. Le garçon ne dormait plus beaucoup : il passait plus de temps éveillé, à s’assurer que tous les enfants perdus sans exception rentraient au camp le soir, pour aller chercher à travers l’île ceux qui s’étaient aventurés trop loin. Et ils étaient de plus en plus nombreux à lui désobéir, ce qui avait tendance à l’énerver. Mais cette nuit-là, tout le monde dormait paisiblement parmi les garçons et il en fut soulagé. Peter posa les yeux sur le lit de Drew et serra les dents, avant d’aller s’asseoir sur la grosse malle de bois à côté. Un rayon de lune éclairait doucement le visage du garçon endormi et la lueur pâle lui donnait un aspect irréel. Irréel, comme tout ce qui arrivait. Drew n’avait pas toujours ressemblé à ce jeune homme brun, dont le corps se développait peu à peu … Tout comme le sien. Peter n’aimait pas ça. C’était bizarre, inconnu, et pas désagréable, ce qu’il trouvait d’autant plus inconvenant. Peter se releva, tourna en rond, s’assit aux côtés de Drew et dégagea un instant ses cheveux de son visage endormi. Drew avait l’air serein, tout ce dont il avait besoin. De la sérénité. Du calme. Du bonheur. Des mots que tous ici semblaient avoir oublié, bien qu’ils s’efforcent de continuer à jouer comme autrefois. Il approcha lentement ses lèvres de l’oreille du garçon « Pousse-toi, tu prends toute la place. » souffla-t-il pour éviter de réveiller tout le monde. Mais Peter n’attendit pas que Drew l’entende ou réagisse et le poussa doucement de lui-même, taquin, avant de s’allonger sur le dos à ses côtés. Le lit devenait trop petit pour les deux garçons, qui dépassaient malheureusement bien trop. Ses yeux se perdurent dans le rayon de lune qui illuminait le plafond et laissait apparaître les grains de poussière qui volaient au-dessus d’eux. « Comment fais-tu pour parvenir à dormir encore, par les temps qui courent ? A quoi penses-tu pour t’endormir ? » demanda-t-il dans un murmure. Peter était assez égoïste pour réveiller qui il voulait en pleine nuit, simplement pour faire la conversation. Heureusement, la fatigue ne se ressentait pas de la même façon, à Neverland. Il fallait rester debout plusieurs nuits de suite avant de commencer à bailler véritablement et ressentir le manque d’une nuit de sommeil. Non, dormir, c’était simplement faire une trêve dans le jeu perpétuel qu’était leur vie. Mais depuis qu’ils recommençaient à grandir, c’était devenu essentiel à leur survie, comme la nourriture et toutes ces choses que Peter trouvait barbantes. Pire même, ils tombaient malades.  

∞ tonight we are young

Drew râla et Peter sourit. Il avait le don d'agacer le garçon aux cheveux bruns et aux sublimes yeux bleus, « Justement vu les temps qui courent, il vaut mieux être en forme ... Et tu devrais faire de même. » Drew n'avait pas tort, mais c'était plus facile à dire qu'à faire. Il haussa les épaules. « L'astuce c'est de ne penser à rien. Tu es tellement tracassé que tu n'arrives pas à dormir ? » Peter se retourna afin de lui faire face comme le faisait son ami et rit un peu. « Maintenant que le temps a recommencé son emprise sur nous, j'ai encore moins envie de dormir qu'avant. J'ai l'impression de perdre le précieux temps qui nous est encore offert, pas toi ? » Son sourire s'élargit d'autant plus à la remarque suivante de Drew. « Tu as des bras droits, il me semble, sert-en. » Une petite moue rieuse et il donna un coup de poing tendre sur son épaule. « C'est de ta sœur qu'on parle, tu voudrais vraiment que je la mette en danger pour me reposer ? C'est hors de question ! Quel frère irresponsable ! » Ce n'était pas méchant, c'était provocateur. Comme toujours avec lui, qui avait passé sept siècles à taquiner tout le monde afin d'y trouver une quelconque confrontation et un plaisir certain. Il aimait se dresser face aux autres, qu'on lui réponde … « Ce n'est pas parce que je te réveille en pleine nuit que je vais te laisser sacrifier mes bras-droits ! » Il lui tira la langue et ferma les yeux un instant. « Ce lit est devenu trop petit pour nous deux, tu as vraiment grossi ces derniers temps. » Une façon comme une autre de faire remarquer qu'ils avaient trop grandi, et qu'il devait cesser de venir lui rendre visite la nuit. C'était devenu impossible, dans ces conditions. Pratiquement collés l'un contre l'autre, ils n'avaient plus tout à fait l'innocence de leurs « jeunes années » et Peter voulait absolument éviter ce genre de rapprochements dangereux qu'il ne comprenait pas et qui le pousseraient inexorablement vers une maturité qu'il se refusait à gagner. Il était un enfant … Un enfant ! Le cabane des garçons était silencieuse, en dehors des quelques endormis qui parlaient parfois dans leur sommeil, attirant Peter qui s'amusait à les écouter sans penser un instant qu'il s'agissait d'espionnage et que ce n'était pas correct de sa part. « Tout est devenu si … Tranquille ici. Avant, à cette-heure là, c'était encore la fête dans la cabane. La fatigue est vraiment l'une des pires choses qui existe. Et la plus ennuyeuse. » Il soupira et rouvrit les yeux, promenant son regard couleur d’émeraude sur le visage de Drew, son épaule et au-delà, le rideau séparant sa couche de celle du voisin. Ces rideaux fabriqués avec les voiles des bateaux que Peter s'amusait à cambrioler pour aménager les demeures des Enfants Perdus qui étaient de plus en plus exigeants sur leur confort. Il détestait les adultes : tout était si simple autrefois ! 

∞ tonight we are young

« Je ne te demande pas d'envoyer ma sœur attaquer un bateau pirate. Je te suggère par contre de vous relayer pour garder le camp la nuit. Je suis sûre qu'elle accepterait, serviable et fidèle envers toi. » Peter hésita un instant. « Tu l'as dit, nous avons besoin de sommeil … J'en ai moins besoin que vous, je ne supporterais pas que ta sœur tombe malade ou soit vulnérable à cause de moi. » Il cligna des yeux et sourit : « Mais je vais y songer. » Après tout, une fois de temps en temps ne tuerait personne. Surtout pas Jenny, qui était bien plus résistante qu'elle n'en avait l'air ! Drew grimaça et lui donna un coup de coude dans le flanc quand il lui fit remarquer qu'il avait grossi. Il se retint de pousser une exclamation de surprise qui, à coup sûr, aurait réveillé toute la cabane. Il rit doucement. « Il faut prendre notre mal en patience. Je suis sûr que tout s'arrangera, ça ne peut pas en être autrement ... Du moins, j'espère. » Il hocha la tête et se retourna sur le dos, volant ainsi un peu plus de place dans le lit déjà trop petit pour eux. Pas qu'il fut gros lui non plus, mais plutôt qu'il avait pris une carrure inattendue pour un petit garçon comme il avait été : à présent large d'épaule, il s'étonnait lui-même de cette apparence qu'il refusait d'observer lorsqu'il se penchait aux dessus des eaux de la crique. « Je l'espère aussi. A cette allure, dans une poignée d'années, nous serons … adultes. » Cela lui donna la nausée. Il ne pouvait pas être adulte, il se le refusait. Peter Pan adulte ? Il ne manquait plus que cela. Quoi qu'avec la magie de toutes les fées réunies, peut-être pouvait-il parvenir à retrouver l'apparence de l'enfant qu'il avait été … Et tant pis pour les autres. Cette conviction le ragaillardit quelque peu et il s'étira en prenant par la même occasion ses aises sur le pauvre Drew qui allait décidément passer la pire nuit de sa vie. « Dites-moi mon cher, faites-vous partie de ceux qui me désobéissent pour aller attaquer les adultes ? » Il avait temps de choses à surveiller, que son omniscience n'était malheureusement plus. Peter avait bien du mal à garder un œil sur tout le monde et c'était là ce qui l'inquiétait le plus : lorsqu'il volait au secours d'un des gosses, c'était peut-être un autre qui était mis à mal, ailleurs. « Je ne veux pas que tu y ailles ... » Sa voix de supplication, il l'utilisait quand il voulait manipuler les gens. C'était inconscient, mais bien réel. Les sentiments étaient une chose très abstraite pour lui, aussi Peter avait trouvé d'autres façons de les exprimer. En les contraignant à lui obéir, il essayait ainsi de les protéger de tout les maux de la terre, moyen de leur montrer qu'il tenait à eux. Pourtant, on parlait de lui comme d'un tyran, chez les adultes et les pirates. Était-ce qu'il était, un tyran ? Certains enfants pensaient-ils ça, eux aussi ? « Je veux dire … Je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose. » Sans doute cette tournure faisait-elle moins despotique. Parce qu'il y avait une chose qu'il voulait encore moins que de passer pour un tyran, c'était de se faire haïr des enfants perdus. 

∞ tonight we are young

« Que ces mots sortent de ta bouche, me font peur ... Je déteste ce mot. » Peter grimaça. « Je n'aime pas plus cela que toi. Rien que le son de ce mot m'insupporte. » Il y avait des mots, des idées toutes bêtes, que Peter n'arrivait pas à tolérer … L'amour, les adultes, les responsabilités et les obligations, ça lui donnait de l'urticaire. Et pourtant, plus il grandissait et plus il y faisait face. Il prenait à présent de véritables décisions pour les siens, dirigeant d'une main de maître le camp des Enfants Perdus alors que jusqu'à maintenant il en avait été à la tête pour la seule et bonne raison qu'il avait crée le Pays Imaginaire. Le garçon prit ses aises et passa ses jambes par dessus celles de Peter qui rit et tendit la main pour les lui pincer, taquin. Il ne détestait pas cette sensation qu'il se refusait pourtant à connaître. Il s'efforçait de croire que tout cela n'était qu'une forme d'affection comme une autre, même si les récents événements lui avaient montré une autre facette des relations entre les gens. Ne pas réagir, c'était ne rien ressentir. Aussi Peter fit comme si de rien n'était, se contentant de le pincer pour que Drew se dégage de lui-même. « Je suis un bon soldat, j'écoute à la lettre les ordres de mon général ... Par contre, je dois avouer qu'il m'arrive de me promener seul sur l'île. J'apprécie que tu t'inquiètes pour Jenny vu que c'est une fille, mais moi, je me débrouille. » Peter fronça les sourcils et haussa les épaules, tandis que Drew cachait son visage derrière les couvertures. « Tant que tu ne fais que t'y promener, je suppose que ça va. Et même si tu ne m'as pas demander pardon, sache que je te pardonne. » répondit-il avec un sourire amusé, avant de prendre appui sur ses genoux et un bras pour arracher la couverture avec laquelle Drew masquait à sa vue son visage légèrement rougi de sa main libre. Il était trop proche de lui, bien plus qu'il ne l'aurait du. Mais l'Enfant Perdu était bien loin de tout comprendre, de tout voir, de tout ressentir. En fait, plus le temps passait, et plus les sentiments qu'il avait commencé à ressentir soixante dix ans plus tôt se transformaient en un état pénible et lassant constant. Le garçon cligna des yeux, surpris. Son aveu le mettait-il donc dans un tel état ? « Pourquoi tu te caches ? » demanda-t-il en riant doucement. Peter rabattit la couverture par dessus eux et ferma les yeux, front appuyé contre l'épaule de son ami. « Arrête de me parler Drew, tu m'empêches de dormir. » le taquina-t-il en se pinçant les lèvres pour ne pas rire, profitant de la chaleur de la couche et du corps du garçon, à la fois rassurant et protecteur. Pour la première fois depuis longtemps, Peter Pan fut persuadé qu'il pouvait dormir avec sérénité. Que rien ne viendrait troubler la fin de cette nuit sans nuages. Alors qu'il s'emmurait dans une solitude nouvelle jour après jour, il avait pourtant besoin des autres pour se sentir réellement bien. Après tout, il était un enfant et seul, il ne valait rien. « J'ai envie de faire la fête et fumer avec les indiens. » grogna-t-il sans trop savoir pourquoi. « Et si on y allait, demain soir ? » proposa-t-il sur le même ton, avant de bailler.