quand le cœur saigne de douleur

LILY & JENNY

C'est nul l'amour ! C'est ce qu'aurait dit une gamine en tapant rageusement des pieds sur le sol, des larmes de colère et de profonde tristesse écorchant impitoyablement sa peau, traînée mordante  balayant son teint halé. Mais ça c'était la Lily d'avant, quand elle n'était qu'une enfant aussi frêle que faible. Maintenant tout est différent. Elle pense juste que l'amour fait mal et qu'il est inutile, mais elle retient ses larmes. Au fil du temps elle a appris à plus ou moins brider ses émotions. C'est aussi efficace lorsqu'on se bat que lorsqu'on se retrouve face à celui qui ne nous aimera jamais aussi fort que nous, nous qui l'aimons à nous jeter d'une falaise. Ou presque. Tout est devenu si compliqué en si peu de temps, que ce soit en ce qui concerne Neverland ou les sentiments de l'indienne. Elle se perd petit à petit dans quelque-chose de plus grand qu'elle et même si elle refuse de l'avouer à voix haute, tout ça l'effraye terriblement. Peut-être est-ce le plus gros résidu de sa petite enfance qui s'accroche à son âme de toutes ses forces et refuse délibérément de partir ? Elle ne saurait pas le dire. Quand le cœur saigne depuis déjà trop longtemps, la douleur a-t-elle encore une importance quelconque ? Alors aujourd'hui la tigresse déambule, marchant sans but dans la forêt en regardant plus le scintillement de son poignard que son chemin. Elle l'a toujours avec elle depuis que son père lui a offert et elle fait encore plus attention à ne pas l'oublier lorsqu'elle s'éloigne du camp depuis que tous ces gens loufoques viennent s'installer sur l'île. Elle marche donc tranquillement, évitant de justesse les racines de nombreux arbres qui semblent bien déterminées à la faire trébucher. Sans qu'elle ne comprenne trop pourquoi ses pas la conduisent à la lisière des bois, près de la falaise. Mais ce qui la frappe le plus c'est qu'elle n'est pas seule. Il y a quelqu'un assis au bord, bien trop près du vide. Frontière si mince entre la vie et la désintégration complète. C'est si dangereux ! Et ce qui est encore plus dangereux c'est de faire le moindre bruit, l'inconnue pourrait sursauter...Lily s'approche donc à pas de velours et vient s’asseoir à côté d'elle sans un bruit, pour qu'elle puisse la voir venir sans pourtant sursauter. Puis elle la regarde quelques minutes et s’aperçoit qu'en réalité elle la reconnaît. C'est Jenny ! Mais, que fait-elle donc là, toute seule, au bord d'un précipice et...en larmes ? Lily panique un peu, elle n'aime pas vraiment voir les gens se mettre en danger quand ce n'est pas elle qui les menace d'une dague. Elle rengaine son poignard d'un geste vif dans le fourreau attaché autour de sa cuisse et reporte son attention sur Jenny. « Rassure moi et dis moi que tu ne vas pas sauter quand même. Si ? » L'indienne soupire. Ce n'est peut-être pas la meilleure approche...Mais faut dire qu'elle n'a jamais été très douée pour parler aux filles, hormis lorsqu'il s'agit d'Asha. Elle a grandit entourée de garçons de manière quasi permanente. « T'es quand même un peu proche du bord selon moi. Tu ne veux pas qu'on aille parler un peu plus loin ? Enfin, en admettant que tu veuilles parler, ce qui n'est pas vraiment sûr. » Elle soupire, elle ne fait que s'enfoncer. « Tu sais, je ne pense pas qu'il voudrait que tu sautes. »Ça y est, elle sait bien qu'elle a lâché la bombe et que le retour en arrière n'est plus possible.

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Lily voudrait de nouveau être heureuse, comme elle l'était tout le temps lorsque tout était plus simple, mais désormais elle ne peut plus que « jouer » à l'être. Cela reviendrait à imaginer et même l'imagination a tendance à lui faire défaut ces derniers temps. Elle se perd plus souvent dans les méandres de ses pensées sombres que dans de douces rêveries aux couleurs acidulées. Mais le passé c'est le passé, n'est-ce pas ? Et il ne faut pas le remuer si on ne veut pas avoir encore plus mal. Une couche de douleur se suffit déjà à elle-même, nul besoin d'en rajouter une de plus. L'indienne toujours assise à côté de Jenny croise ses jambes en tailleurs et se tourne un peu plus vers son interlocutrice, observant ses yeux tristes avec un sincère intérêt. Peut-être est-ce plus difficile de détester quelqu'un quand on est à armes égales et que l'autre n'est pas aussi affligé psychologiquement. Là présentement elle ne peut pas se résoudre à la haïr. La jalousie pique toujours son cœur lorsqu'elle pense à tout le temps qu'elle passe avec Peter mais jalousie et haine sont deux sentiments bien différents et les comparer la plupart du temps serait comme faire une énorme bêtise. La tigresse est vraiment perdue...Comment réconforter quelqu'un avec qui on est en compétition quasi permanente ? Avec qui on a été tant de fois si désagréable ? Comment s'y prendre pour que cette personne esquisse ne serait-ce qu'un petit sourire ? C'est vraiment le monde à l'envers aujourd'hui. Cependant, même si Lily jalouse énormément Jenny, elle n'aime néanmoins pas voir les gens souffrir, et puis avoir sa mort sur la conscience ne lui plairait pas des masses. Lily débite donc son lot de phrase et se contente d'attendre patiemment que Jenny réponde. Elle espère au moins que la faire parler un l'éloignera de ses pensées morbides un temps. « Il sera triste mais il m’oubliera vite ! T’auras plus que Wendy comme rivale jusqu’à ce qu’elle rentre chez elle, tu l’auras pour toi seule comme ton cher papa le veut tant ! » L'indienne entrouvre légèrement la bouche. Elle n'a jamais vu la chose comme ça...Enfin si, certes, elle aimerait être débarrassée de ses rivales parfois, quand elle est dans une période de peste. Malgré tout elle n'a jamais pensé à la disparition définitive de l'une d'elle, c'est quelque-chose de bien trop cruel et le cœur de Lily n'est pas cruel ! Il lutte pour demeurer pur. « Non. Tu n'as pas le droit de dire ça. Tu n'as pas le droit de te mettre à sa place et de prétendre que tu ne lui manqueras pas ! Je suis sûre que ce n'est pas le cas. Si il ne te voit pas comme quelqu'un qu'il pourrait aimer, au moins il te voit comme une amie proche, et c'est déjà quelque-chose de précieux tu sais ? » Elle tente de se calmer un peu et de reprendre sa respiration. « Je ne veux pas de ce mariage. Tous ceux qui connaissent mes sentiments pour Peter pensent que je suis au comble du bonheur mais non, je ne le suis pas. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que je l'aime, et parce que je l'aime je ne veux pas le condamner à vivre pour toujours avec moi si ce n'est pas réciproque en ce qui le concerne. » La tigresse confrontée au ton froid et cassant de Jenny et à ses sentiments qui remontent à la surface et lui serrent le cœur sent ses yeux picoter, mais elle refoule bien vite les larmes qui menacent de couler. Elle ne veut pas pleurer. Elle ne veut plus. Elle a l'impression qu'elle a déjà pleuré la quantité d'un lac depuis qu'elle l'aime. « Je peux comprendre à quel point tu as mal. Moi avec cette histoire de mariage mon humiliation est publique...Et par publique je veux dire tout le monde, vraiment. Même les villageois de Rivebois doivent le savoir. » Lily ramène ses genoux contre sa poitrine en soupirant.

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Dans l'esprit de Lily tout est clair, définitivement Jenny ne peut pas dire qu'elle n'est pas proche de Peter. Même si elle voudrait qu'il l'aime, même si ce n'est pas possible, elle en demeure néanmoins son bras droit tandis que l'indienne passe tant de journées sans voir celui qu'elle aime ces derniers temps. Tout ce temps qui s'écoule semble être autant de lames qui lui perforent le cœur. Mais que faire d'autre ? Il n'y a que l'attente, il n'y a que la patience. C'est ce qu'est devenu le monde la princesse, elle qui jadis courait après Peter et les enfants avec un grand sourire pour les attraper, ils riaient alors tous, même le garçon qui ne veut pas grandir. Il est devenu si rare de le voir sourire sans que ses yeux ne suivent pas et n'expriment sa tristesse, sa profonde mélancolie. Le temps des jeux d'enfants est révolu. Il ne reste plus que les souvenirs qui blessent. Pourtant Lily essaye de les maintenir au plus près de son cœur, ça a bien quelque-chose d'un peu masochiste. Maintenant Peter est préoccupé en permanence, Jenny est son bras droit, les gens bizarres parcourent Neverland presque librement...Il ne reste que l'indienne, s'entraînant rageusement dans l'espoir qu'un jour on la laissera mener sa vie comme elle l'entend. Ses précédentes phrases ne sont pas fausses, elle ne veut pas de ce mariage. Elle ne veut pas contraindre celui qu'elle aime ! Elle l'aime...trop ? Tellement que parfois elle essaye de se forcer à oublier ce flot sentimental, mais les résultats probants sont bien trop rares. - C’est pour ça que je déteste ton père ! Il pense justement au fait que t’as jamais caché ton amour pour Peter que ça te rend heureuse mais il n’a pas pensé de demander à Peter si ça l’intéressait ! Non ! Au lieu de ça, il lui a imposé son choix mais sinon, à part ça, il respecte ses alliés ! Il croit quoi ? Parce qu’on est des enfants, il a le droit de décider à notre place ? Qu’il s’occupe de son peuple au lieu d’imposer ses choix aux autres clans ! Certes, le père de Lily est un homme atypique. Il demande rarement l'avis des femmes en général. Mais il a une grande considération pour sa fille, elle est son héritière et il est très fier d'elle. Il tient à elle comme à sa vie et la jeune femme sait très bien qu'en plus des intérêts politiques il pensait faire le bonheur de sa fille en proposant cet arrangement. Cependant maintenant il est vu comme celui qui impose impitoyablement sa loi aux autres sans leur demander leur avis, et Lily n'est pas vraiment heureuse. Elle serre les poings et soupire, rien ne tourne plus rond dans le mur. « Mon père pensait aussi qu'il me rendrait heureuse...Mais il a eu tord. C'est vrai que ce n'est pas à lui de prendre ce genre de décisions. C'est vrai que c'est n'importe quoi. On ne peut pas imposer de telles choses ! J'en ai conscience tu sais. » Elle regarde tristement au-delà de la  falaise sans desserrer les poings. C'est contre elle-même qu'elle est en colère, contre sa position de princesse héritière, contre le monde entier. Mais rien ne peut changer ça et ça fait bien longtemps que ses rêveries lui ont été arrachées sauvagement sans aucun espoir de retour. « Des fois j'aimerais m'opposer à lui et lui demander de se taire, d'arrêter de dire n'importe quoi mais la réalité est là : je suis la princesse et il est le chef. Je dois me plier à sa loi, et pas seulement parce qu'il est mon père. »  Après tout c'est vrai, il est aussi son chef tant qu'elle ne prend pas sa place, et même si elle aimerait être libérée de ses chaînes dorées elle ne souhaite pas que son père trépasse dans les années à venir. Malgré ses choix un peu étrange il a fait tellement de choses pour son peuple, il lui est dévoué. Mais rien ne sert de plaider en sa faveur, Lily sait bien que Jenny le déteste et ne risque pas de changer d'avis de sitôt. - Comme de ton côté, ils doivent bien rire du râteau que je me suis prise l’autre jour ! La princesse hoche doucement la tête, non pas pour confirmer les dires de Jenny mais plutôt pour montrer qu'elle l'écoute et prend donc vraiment en considération tout ce qu'elle est en train de lui dire, qu'aujourd'hui elle n'est pas d'humeur à se moquer d'elle comme les autres jours. « Peu importe les gens qui rient, nous on sait bien que c'est impossible de maîtriser les sentiments et que quand ils s'échappent, les enfermer de nouveau est plutôt difficile. » Le malheur d'aimer. Le malheur d'aimer trop, car après tout c'est vrai, on n'aime jamais que trop, qu'avec une intensité qui conduit à la folie parfois. - Si t'es malheureuse, tu pourras lui dire que c'est de sa faute ! Et puis, de toute façon, Peter ne peut aimer ! L’amour est quelque chose qu’il ne comprend pas, sans doute parce que personne dans son entourage ne le lui a appris et ça lui fait peur ! Et puis, il m’énerve à me cacher des trucs ! Tu ne sais pas ce qu’il a parce qu’il veut me rien dire sur le fait qu’il soit constamment fatigué ! J’ai beau lui dire de dormir, que je le remplacerais sans problème pendant la nuit mais non, il faut qu’il fasse sa tête de mule ! Oui il ne peut pas aimer. Oui il ne comprend pas l'amour, et oui elle le sait ! Elle en a assez qu'on lui rabâche ces mots à longueur de journées ! Un coup on veut la marier à lui, l'autre on retourne le couteau dans sa plaie déjà suffisamment à vif. Elle ne sait plus sur qu'elle pied danser. Elle ne sait plus si elle doit pleurer ou rire avec cynisme tellement la situation est grotesque. « Je sais bien qu'il ne peut pas aimer et que le seul truc qu'il comprend de l'amour c'est que c'est douloureux...Voilà pourquoi moi je te trouve très courageuse de lui avoir déclaré tes sentiments, même si tu devais te douter de comment ça allait se terminer. Moi je n'ai jamais osé le faire ouvertement...Quand à Peter c'est vrai que c'est une sacrée tête de mule...».

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L'erreur première est celle du cœur. C'est lui le fautif, le fourbe qui nous trombe. Dès qu'on se promène au bord du précipice qu'est l'amour il nous jette à l'intérieur pour que plus jamais on n'en sorte. Ou en tout cas pas sans aucune égratignure.  C'est ce de quoi la vie est faite, des douleurs cuisantes, des échecs et des petits bonheurs qui s'envolent avant même qu'on ait pu les toucher. Certains diront que c'est ce qui donne tout son charme à leur magie, les autres diront qu'il s'agit juste d'une équation qu'ils ne peuvent pas résoudre : comment atteindre le bonheur et le garder pour toujours ? Il faut dire que c'est si loin toujours, et si près également. Quelques secondes comme des milliers de jours. Certes la jeune femme n'est pas la moins bien lotie de l'île en ce sens qu'elle connaît ses parents, qu'ils l'ont toujours aimée et choyée mais il faut ajouter à cela les grandes responsabilités qui lui incombent en tant que princesse et ça elle ne le souhaite à personne. Certains jours ça rend sa vie impossible, trop compliquée. Les responsabilités font toujours du mal à celui qui endosse l'habit et va à leur devant. Déjà en tant que simple princesse Lily a parfois l'impression de ne plus pouvoir sortir la tête de l'eau, et ça la désespère. Voilà pourquoi elle n'a aucune hâte de devenir chef à son tour. Les convoitises vénales et les coup d’œil en biais sur les avantages que peut offrir le pouvoir lui sont bien étrangers. Elle n'en a cure. Parfois elle se dit qu'elle a vraiment vu le jour au mauvais endroit...lorsque l'étau des obligations se ressert autour d'elle en la muselant sans qu'elle puisse protester. C'est ce qui arrive avec ce mariage. En réalité elle a peur que contraindre Peter ne fasse que le rendre un peu plus inaccessible, et elle ne supporterait pas que leur amitié de deux siècles soit brisée par une cérémonie stupide qui pour elle ne signifie pas grand-chose de toute manière ! Les serments éternels des amants prononcés sous un beau soleil elle n'y croit déjà pas à l'origine, alors si en plus Peter doit être forcé à le faire...

Tout ça lui torture la tête depuis des jours ! Elle va exploser, ou pire, étouffer. Cette anxiété s'est insinuée trop profondément en elle maintenant. Le poison attaque déjà la jolie pomme fragile qu'elle est. Les yeux de Lily s'égarent dans la contemplation de l'horizon, de l'immensité vague qui se tient face à elle. Cet endroit est magnifique quand on prend bien le temps de l'observer. Mais il est bien là le problème, désormais elle a très peu de temps à consacrer à l'émerveillement que Neverland a toujours provoqué en elle...Aujourd'hui ce temps semble totalement révolu. - Alors, il faut que tu lui dises ce que tu ressens ! Dis-lui que c’est à ton père que tu veux parler et non au chef ! S’il voit que t’es malheureuse, ça le fera peut-être – je dis bien peut-être – d’avis ! Les parents qui aiment réellement leurs enfants ne supportent pas les voir souffrir ! Au moins, t’as la chance d’avoir un père qui t’aime ! Je peux pas en dire autant de mes parents ! Facile à dire quand ne doit pas se soumettre à l'autorité des adultes quotidiennement ! Quand on ne dépend pas d'elle ! C'est ce que l'indienne voudrait répliquer avec sarcasme, mais elle n'est pas d'humeur à entamer une joute verbale aujourd'hui. Elle se contente de rester silencieuse quelques instants et de hausser les épaules comme pour montrer qu'elle ne sait pas trop ce qu'il y a à faire. « Si  c'était aussi facile...Les adultes sont impitoyables ! Ils le sont parfois sans même s'en rendre compte...Mon père est le chef tout le temps, chaque seconde de sa vie, je ne peux rien y faire. Certains doutent de son autorité ces derniers temps alors il a adopté cette poigne de fer pour s'assurer que personne ne viendra le contester, voir le défier. Je n'y peux rien. Je suis impuissante. Quand bien même je sais qu'il m'aime...je sens aussi que cet amour paternel va finir par m'échapper, comme tout le reste m'échappe d'ailleurs. Comme Peter, comme cette guerre, comme cette île, comme tout...Elle est là la réalité, tout s'enfuit un jour, qu'on le veuille ou non. » Et la jeune femme ne l'a jamais autant pensé qu'aujourd'hui. Avant elle ne réfléchissait pas aux choses éphémères. Il faut dire que la vie d'un indien de Neverland est extrêmement longue, elle n'avait donc pas à s'occuper des urgences. Seulement les urgences sont vite devenues son quotidien. Elle ne jugeait pas utile de s'y préparer avant aujourd'hui alors parfois elle ne sait pas quelle direction prendre pour continuer d'avancer.  C'est vrai finalement tout ce qu'elle dit.

Elle a le courage de la guerrière, de celle qui peut briser physiquement les gens en quelques secondes...mais les sentiments lui échappent totalement. Il y a comme un cadenas, un verrou émotionnel qui protège son cœur, et elle ne sait pas à quoi sa présence est due. Elle sait juste que son amour pour Peter ne fait que fissurer ce cadenas, encore et encore. Alors elle est réellement admiratrice de Jenny qui a su mettre des mots sur ses sentiments, même si c'était peut-être d'une manière incongrue. L'essentiel est encore d'y parvenir. Seul le résultat compte. - Ce n’est pas par courage que je le lui ai dit, c’est par peur de le perdre ! Et j’ai rien trouvé de mieux que l’embrasser avant de lui expliquer ! T’aurais vu sa tête ! Il comprenait que dalle le pauvre et après j’ai pleuré et après ça s’est mieux passé ! Sauf que ça a du entrer d’un côté et sortir de l’autre ! Ah les garçons, je te jure ! Lily acquiesce d'un mouvement de tête, l'écoutant attentivement bien que toujours concentrée sur la multitude d'arbres qui lui fait face au loin. « Peu importe la manière dont ça s'est fait, tu as fait preuve de témérité. Dis toi que je dois vivre chaque moment ou je suis avec lui en en étant très amoureuse sans avoir pourtant le courage d'aborder le sujet. C'est...encore plus frustrant et douloureux ! Parce que maintenant qu'il sait pour toi, il ne fait plus rien d'embarrassant je suppose ? Pour moi les actions les plus anodines transforment nos discussions en situations étranges, tout ça parce que je n'ai pas suffisamment de courage pour lui avouer les choses, et me les avouer au passage. Ah oui les garçons...A croire qu'ils n'existent que pour faire pleurer les filles ! »

quand le cœur saigne de douleur

LILY & JENNY

T'as oublié ce que c'est que la vie, Lily. La douleur en offrande sur tes paumes et gravée au fer rouge au plus profond de ton cœur. T'as oublié Lily, que pour vivre il faut saigner, que ça ne s'arrête jamais. Ou bien tu fais semblant, et tu mens bien. Mais sois réaliste deux secondes princesse, tu ne peux pas te mentir à toi-même plus longtemps. Il n'y a que ta conscience que tu n'arriveras jamais à duper puisqu'elle n'existe que pour te rappeler les erreurs du passé. La première c'était de croire que ceux qu'on aime ne nous abandonnent jamais...La seconde c'était de tomber amoureuse de la seule personne inatteignable peu importe l'énergie qu'on met dans les efforts que l'on fait pour qu'elle nous voit, un peu. T'as perdu Lily, sois réaliste deux minutes. Peut-être même que si tu continues à lutter tu devras arracher ton cœur de ta poitrine pour éviter l’hémorragie. Y a toujours ce trop plein d'émotions qui menace de te faire déborder et le pire c'est que tu n'en est que trop consciente. Tu ne fais que reculer l'échéance. Piètre princesse ! L'indienne sait bien que c'est vrai. Et elle a mal, tellement mal que souvent maintenant les larmes refusent de couler, elles sont comme cristallisées par la tristesse. Au bord de ses paupières il ne reste que des illusions déchues et des rêveries veines qui se sont fracassées contre les récifs de la réalité. On ne peut pas éternellement être une enfant. On ne peut pas éternellement être une rêveuse. Elle sait bien au fond que tout ça c'est des conneries. Une part d'elle le sait même depuis toujours. C'est un grand mot « toujours ». Un mot vaste aussi, plein de promesses vagues qui s'éloignent au fur et à mesure que le sable s'égraine dans le grand sablier de la vie. Et même si pour les indiens ce sable met très longtemps à s'égrainer, sa course ne se stoppera pas. Lily est appelée à devenir une adulte...Lily voudrait croire que ses cris suffiraient à arrêter le temps de manière définitive. Elle en a plus qu'assez de perdre les gens à qui elle tient et elle sait bien que si ce mariage a lieu cette triste règle des meilleurs qui partent en premier s'appliquera cette fois-ci à son amitié avec Peter. Elle sait bien qu'à lui ça ne lui apporterait rien, qu'il ne comprendrait pas. Elle le rendrait malheureux et quelque-part dans un petit coin de son âme bien dissimulé, ça la rendrait folle de le savoir ainsi. Peter est comme ça et elle l'a toujours su, il doit vivre libre et sans contraintes, comme un enfant. Pourtant un beau jour les contraintes se sont matérialisées à la porte de l'île sans aucune annonce préalable, et lui aussi doit devenir plus fort maintenant. Mais en faisant ça il s'éloigne incontestablement d'elle...Pourtant, elle n'osera jamais le lui dire. Elle est la lâche de l'histoire et elle le sait bien. Mais rien ne peut défaire les étroits liens de son cœur. Rien si ce n'est lui et ça n'arrivera jamais. Au fond d'elle Lily se dit qu'elle doit essayer d'en toucher quelques mots au chef, bientôt...pourquoi pas lors de la fête qui sera bientôt donnée au camp ? Oui, c'est une bonne idée ! Le regard de la princesse indienne suit celui de Jenny et se perd quelques minutes dans le vide, elle trouve apaisant de détailler l'horizon infiniment grande ainsi. Mais un bruit dans les fourrées se fait entendre. Il serait peut-être passé inaperçu auprès des oreilles d'adultes ordinaires mais les enfants perdus et les indiens ont des sens on ne peut plus aiguisés. Lily se retourne d'un coup d'un seul sans perdre de temps. Le feuillage vient de bouger, et ce n'est pas le vent ! - C’était quoi ça ? L'indienne lève la tête avec suspicion, un peu inquiète de la tournure qu'ont pris les événements. Elle cherche à  voir ce qui se cache dans les bois mais visiblement ça s'est senti repéré et ça a déguerpi en vitesse. La princesse se tourne vers Jenny, jugeant que leur entrevue a duré bien assez longtemps et qu'elle doit retourner s'entraîner. Et puis après tout elle demeure sa rivale, même si Lily la sait désormais bien plus humaine. « Je  crois bien qu'on nous espionnait...Ça m'inquiète un peu. Je dois aller faire un rapport à la tribu, et tu devrais faire de même avec Peter. Je me demande ce que c'était car les hommes de Rivebois et les pirates ne s'aventureraient pas ici sans but précis... » Elle en est là de sa réflexion mais adresse quand-même à sa vis-à-vis un petit signe de la main. « Je dois y aller. C'était...euh...sympathique ? Mouais, on va dire ça comme ça. On se voit plus-tard ! A la fête du camp bientôt, je pense. Je suis sûre que Peter jugera bon de t'emmener. Enfin, j'espère pour toi. » Et au fond, peut-être qu'elle est sincère ? Quoiqu'il en soit elle réajuste sa dague dans le fourreau qui est accroché à sa ceinture et écarte les feuilles des buissons pour s'éloigner dans les bois. Cette discussion était particulière. Enrichissante, mais particulière...