REVIENS-MOI


@moonchild_X/jewelotus livejournal

Les yeux clos, le menton haut, Nightingale huma l'air longuement, lentement, au rythme de la brise légère qui chatouillait avec douceur son visage, soulevait ses cheveux, s'engouffrait dans son cou, caressait chaque parcelle de sa peau. A son réveil, le monde lui était apparu plus beau. C'était soulagé, le cœur léger, qu'il s'était extirpé de son lit au petit matin pour s'offrir une balade en forêt. Les rayons du soleil jouaient parmi le feuillage des arbres, dessinaient des ombres dans l'herbe tendre. Debout sur une butte, les bras pendant le long du corps, l'enfant perdu rayonnait, se laissait transporter par une sérénité absente de son quotidien depuis trop longtemps. Ses lèvres s'étendirent en un sourire épanouit apportant avec lui des fossettes de bonheur. Exceptionnellement, il oubliait ces derniers jours néfastes et douloureux au profit d'un moment de félicité intense. Depuis sa blessure causée par le Capitaine Miller, le moral des troupes de Peter avait diminué, et le Pays Imaginaire s'enfonçait peu à peu dans l'obscurité et la noirceur. Les nuits étaient interminables, mais le temps lui ne s'arrêtaient plus. Il défilait à une vitesse étonnante. Neverland était Peter et souffrait donc aussi. Nightingale se mordit les lèvres, refusant de laisser rouler quelques larmes de fatigue le long de ses joues. Il voulait croire en cette belle journée, la prendre comme l'annonce d'un futur meilleur. Il ne pouvait y voir que du bon. Le contraire ne pouvait être.

S'essuyant les yeux, il s'assit un instant pour profiter de la chaleur du sol. Un frisson de bien être le parcourut lorsque ses mains effleurèrent les herbes tièdes. Sa respiration se fit plus lente et il  s'allongea quelques instants. Il désirait contribuer à ce moment de paix furtif. S'acquitter des fautes, des mauvais choix qu'il avait commis. Réduire la trop grande distance qui s'était naturellement construite entre lui et les autres membres du camp ? Passer outre sa jalousie envers les filles qui entraient dans la vie de Peter ? Il grimaça à l'idée de voir Wendy, Lily ou Jenny caresser la joue de son chef. Non certainement pas ça, pas encore, pas tout de suite, jamais. Il y avait mieux, bien mieux. Autre chose. Ses pensées se tournèrent vers ce caractère parfois exécrable, et qu'il adorait pourtant. Des images de cette présence désormais rejetée, se formèrent dans son esprit. La petite chevelure blonde, les yeux doux et rieurs. La grâce presque infantile dans chacun de ses mouvements, et qui lui avait tant plus. Ses petites ailes soyeuses, génératrices d'arc-en-ciel lorsqu'on regardait à travers. Ces petits éclats de rire de fée, sonorité si chatoyante et particulière. Un nouveau sourire, plus franc et malicieux révéla ses dents.

« Aénor... »

Le nom de sa compagne de jeux traversa ses lèvres en un murmure joyeux. Il se releva rapidement et se précipita dans la forêt à la recherche de baies sucrées pour son amie. Se servant d'une feuille épaisse comme récipient, il mit tout son cœur à choisir les fruits un à un, les triant avec grande attention. Il ne les voulait ni trop gros, ni trop ridiculement petits, ni trop mûrs ni pas assez. Il était excité, survolté par ce nouveau jeu consistant à offrir un cadeau de pardon au petit-être qu'il appréciait le plus dans tout Neverland. Si elle n'était pas sa fée gardienne, le garçon l'oubliait et la considérait comme telle. Il l'aimait tellement plus que cette autre pénible avec qui il semblait s'être définitivement brouillé. Il récolta quelques gouttes de rosées encore fraîche accrochées aux buissons avec précaution tandis que son cœur se gonflait de joie. Sans plus attendre, il se précipita au grand arbre des fées, espérant de tout cœur que celle pour qui il était venu soit présente. Prenant son courage à demain, il siffla, non pas comme l'on siffle un chien, mais bel et bien quelques notes imitant le chant du rossignol. Si elle se trouvait bien chez elle en cet instant, elle comprendrait immédiatement. Il s'agissait d'une habitude bien ancrée chez le garçon, et elle ne pouvait que la connaître, elle qui avait passé tant de temps en sa compagnie.

Le regard vers le ciel, il attendit. Heureux, fier aussi, mais surtout le cœur empli d'espoir.

Le temps lui parut infiniment long. L'angoisse le gagnait lentement. Et si Aénor l'ignorait ? Et si elle ne répondait pas à ses appels ? Il serait tout à fait légitime de sa part d'agir ainsi. Il n'avait pas été tendre avec elle, il s'en rendait compte à présent. Ses yeux se posèrent sur ses baies, et il trouva ce cadeau de pardon fort ridicule. N'y avait-il rien de mieux qu'il puisse faire pour elle ? Il se sentait démuni et terriblement malheureux tout à coup. L'euphorie de ce matin s'était envolée tout comme le soleil qui avait laissé place à de sombres nuages. Il doutait même de sa venue au pied de l'arbre et se tenait prêt à partir. Il lança un dernier regard vers le ciel, ultime appel à l'aide. Et il la vit. La légèreté de sa course, ses ailes battre avec une fluidité qu'il connaissait par cœur. Il esquissa un petit sourire, de circonstance peut-être, la gaieté qui l'avait guidé ce matin n'étant plus.

Nightingale tressaillit lorsque la fée se déposa sur son épaule. Il ne méritait certainement pas qu'elle fasse autant d'efforts pour lui. Il l'écouta cependant, se mordant la lèvre inférieure afin d'éviter de laisser ses émotions parler pour lui.
''Qu'est-ce que tu fais là ?"

Il déglutit avec difficulté, de peur de se faire sermonner, ou pire encore. Qu'Aénor lui annonce qu'elle souhaitait ne plus jamais le revoir. Parviendrait-il à s'accommoder d'un tel ordre ? Peu probable. Il avait déjà énormément de mal à accepter tout ce qui arrivait. Même Peter ne souhaitait plus le voir lui, son plus grand confident, son bras droit. On le rejetait. Peter, certes, mais son corps aussi. Il n'y avait plus aucun accord entre ce dernier et son esprit. Il se sentait pris au piège, sans aucun échappatoire possible.
''Je croyais que tu m'avais oublié..."

Son cœur rata un battement. Alors c'était vrai, il lui arrivait d'être aussi horrible. Jamais il ne s'en était rendu compte. Il comprenait enfin qu'il était plus que capable de blesser ceux qui l'entouraient, et ça lui était douloureux. Son attitude lui faisait mal, et sa conscience lui soufflait qu'il se rapprochait un peu plus de ce que pouvait être un adulte. Mais les enfants aussi, pouvaient se montrer cruels, non ? ''NON ! Je ne pense pas pouvoir t'oublier un jour Aénor...''

La voix enrouée, il n'avait pu faire mieux. Il était pris d'un certain malaise, ne savait pas s'il jouait franc jeu avec la fée. Parce que oui, il l'avait complètement oubliée durant ces jours entiers qu'il passait à épier les pirates. Mais il ne l'avait pas plus ignorée que tous les autres. Il n'y avait eu que lui. Lui et le capitaine Miller. Tout autre être vivant de Neverland s'était effacé de sa mémoire à chaque fois qu'il quittait le camp pour rester seul, à observer. Il avait mené une vie de pseudo ermite, s'était exclu et n'avait nullement ressenti le besoin de se trouver en compagnie d'autrui. Un profond soupir dans lequel s'exprimait toute sa détresse s'échappa de ses lèvres fines. Il n'osait même pas tourner le visage vers Aénor, la honte le dévorait et ses paroles ne furent plus qu'un souffle.
''C'est vrai... Toi... et tous les autres.''

Il cueillit la petite fée au creux de sa main libre. Il se devait de la regarder dans les yeux. Il espérait aussi capter la moindre de ses réactions suite à ce qu'il allait lui demander. Une sorte de terreur timide s'était installée dans son regard alors qu'il dévisageait son joli minois.

''Tu m'en veux, n'est-ce pas ? Tu m'en veux parce que je change...'' Il détourna un instant le regard d'Aénor, désireux qu'elle ne capte pas la faiblesse qui le gagnait. ''J'ai peur tu sais. Parce que si tout ça continue, je ne pourrai pas rester. Je veux continuer à vous voir, à être présent pour vous. Je ne veux pas que tu me quittes, ni que tu m'oublies. Pour de bon.''

Une larme unique roula lentement le long de sa joue et comme épuisé, il desserra le poing, révélant ce qui restait des pauvres baies qu'il avait ramassées. Son cadeau était fichu, à l'instar de tout ce qui se trouvait en Neverland désormais. Il laissa les fruits rouler au sol et approcha son index des ailes d'Aénor, désireux de les caresser. Ce geste le réconfortait. Leur douceur avait un pouvoir apaisant sur lui. Il stoppa cependant son geste à proximité de la fée, craignant qu'elle ne lui autorise une telle proximité après tout ce qui s'était passé, ainsi que ce qu'il venait de lui avouer. ''Est-ce que je peux ? Je suis désolé... Pour tout. Dis moi ce que je peux faire...''

Il se laissa glisser le long de l'arbre, étendant ses jambes une fois assis, et la contempla d'un air distrait, l'angoisse s'agrippant à lui telle une sangsue.

Pitié, faites qu'Aénor ne me repousse pas.

"On a donc si peu d'importance pour toi ?" , "Je n'arrive pas à t'en vouloir."

Les mots s'entrechoquaient dans la tête de l'enfant perdu, rassuré mais honteux. Il lui était difficile de regarder Aénor dans les yeux au final. Il lui apparaissait qu'il l'avait comme trahie, elle et tous les autres. La jolie fée comptait parmi l'un des êtres qu'il chérissait le plus. Il supportait mal ce mal qu'elle avait pu enduré par sa faute, et la voir toute aussi perdue et confuse que lui n'arrangeait en rien la situation. Sa culpabilité pesait à présent lourd sur sa conscience. Il avait agit en parfait idiot, son arrogance s'était montrée plus fort que tout le reste. Ce reflet de vanité le dégoûtait. Il ressemblait vraiment de plus en plus à un adulte.

"Je ne peux pas t'empêcher de changer et j'ai horreur de ça. Je m'en veux de ne rien pouvoir faire. Je reste là et à part essayer de retarder ton vieillissement en maintenant ton esprit d'enfant, je ne peux rien faire." Il caressa avec une douce intensité les ailes de sa fée favorite. Bien malgré elle, Aénor avait fini d'achever ce dernier espoir auquel il se raccrochait. Pourtant il ne parvenait pas à lui en vouloir, lui non plus. Elle était lucide, la voix de la sagesse plus que n'importe qui et il lui était reconnaissant de ne pas lui mentir. L'empêcher de rêver était peut-être une entrave de plus à  cette enfance qui s'échappait, qui filait entre ses doigts, mais lui faire croire à l'impossible n'aurait pu qu'accélérer ce qu'il considérait comme une longue descente aux enfers. Ses gestes envers le petit-être se firent plus machinaux. Il était vraiment nécessaire pour lui de se sentir apaisé, chose qui lui paraissait de plus en plus difficile. Le bonheur auquel il aspirait semblait si lointain, de plus en plus impossible à atteindre. Qu'adviendrait-il de lui ?

"Je ne veux pas t'oublier, je ne pourrai pas. Je crois que même si tu grandis, même si tu deviens un adulte sans cœur, je ne pourrai me faire à l'idée de ne plus te revoir. Je veux te garder près de moi, quoiqu'il arrive." Ses yeux se fermèrent. Ces paroles étaient si dures et si empreintes de bonté à la fois. Non, vraiment la vérité était bien trop pénible à entendre. S'il avait pu, il se serait bouché les oreilles, aurait creusé un trou sous terre et s'y serait enfui à tout jamais. Tout, il aurait pu tout faire, tout donner pour ne plus faire parti d'un monde en plein changement qu'il ne tolérait pas, qu'il n'avait jamais toléré. La gentillesse d'Aénor le faisait souffrir un peu plus. Il savait désormais ce qu'il allait perdre, si jamais sa croissance continuait. Et c'est ce qui allait se passer vraisemblablement. Irrité par ce coup du destin, il poussa un fort et long soupir, vent soulevant la petite chevelure blonde d'Aénor. Que pouvait-il répondre à cela ? Rien. Son cœur était empli de gratitude et vrillait entre le froid et le chaud. La fée avait l'art de lui faire ressentir un mélange de sentiments incommensurable. Et c'était plutôt agréable.  "Tu as une place trop importante pour moi. Je te protégerai et je te forcerai à devenir quelqu'un de bien. Bien sûr, si tu arrêtais de grandir, ça m'arrangerait !" Bien que le cœur n'y fut pas vraiment, il ne pouvait retenir plus longtemps un sourire lui, aussi. La femme miniature valait bien qu'il fasse des efforts pour elle. Après tout, il semblait ne pas être le seul à redouter cette situation étroite dans laquelle il était. La compassion de sa compagne était inouïe. Dire que quelques minutes plus tôt, il croyait qu'elle allait rompre définitivement tout lien avec lui. A la place de cela elle lui révélait qu'elle était prête à tellement de choses pour lui. ''Tu aurais vraiment du être ma fée. Jamais je ne m'entendrai aussi bien avec une autre que toi''. Ils avaient déjà abordé le sujet dans le passé. Il en ressortait toujours un peu boudeur, mais aussi les joues rosies par une certaine timidité d'enfant. En cet instant seule la déception pointait réellement le bout de son nez. Il n'avait plus peur de lui dire ce qu'il aurait vraiment souhaité pour elle et lui. Pas après tout ce qu'elle lui avait avoué. Il admirait ce courage qu'il ne connaissait pas. Celui des sentiments avoués. Oui, dans une certaine mesure et sur bien des points, Aénor était un modèle exemplaire pour lui, en plus d'une amie très spéciale et très chère à ses yeux.

"Je ne sais pas si tu peux faire quelque chose pour arrêter de changer. Mais promets-moi de rester prudent. Et promets moi de ne pas m'oublier." Nightingale posa sa main libre sur le cœur et, l'air solennel, singea tous ces adultes qui ne savaient promettre sans artifices. ''Ma dame, je vous promets, envers et contre tout, que je ferai tout mon possible pour être la prudence même''. Puis il approcha ses lèvres du petit visage d'Aénor, et chuchota le plus doucement possible, la voix emplie d'émotion sous l'influence d'une véritable promesse. ''Aénor, ma princesse à moi... Je te promets de ne jamais plus t'oublier. Jamais''. Il se redressa, arracha un brin d'herbe pour lui chatouiller doucement le cou avant de le jeter. Il avait repris son sérieux. Il y avait autre chose qui le perturbait. ''Ca ne te dérange pas que l'on bouge ? Je n'ai pas envie de tomber sur ma gardienne...'' Avec une petite grimace, il posa la fée sur son épaule, sans attendre sa réponse, et s'éloigna de l'immense arbre. Il s'assura toutefois qu'Aénor se trouvait dans une position confortable, de sorte qu'il ne puisse advenir qu'elle glissa par accident. Il prit une nouvelle fois la direction de la forêt. Ils y seraient tranquilles, personne ne viendrait les perturber. ''Dis Aénor, raconte-moi comment ça se passe chez vous les fées, en ce moment. Tu ne souffres pas trop j'espère ? J'ai cru comprendre que Tinkerbell était mal en point. Promets-moi de toujours bien te porter...'' Bien que son lien avec Aénor n'égalait pas celui de Peter et Tinkerbell, Nightingale espérait ne jamais voir celle qu'il considérait comme sa propre fée dans un triste état. Il était clair qu'il ne saurait faire face à une telle situation, se sentirait absolument démuni. Il pouvait presque affirmer que cela lui crèverait le cœur.

Il s'assit sur une souche et déposa l'être miniature sur ses genoux. Le temps le rendait somnolent, et il comptait bien profiter de la présence d'Aénor en lui demandant une faveur qu'elle lui avait déjà faite un nombre de fois incalculables. ''Dis Aénor... Tu pourrais te coiffer ? Passer tes mains dans tes cheveux. Tu sais combien j'aime ça, à quel point ça me calme.'' Inconsciemment il percevait en ces mouvements un geste répété par une figure maternelle. Comme une mère qui le soir avant de se coucher, peignait ses cheveux près de son enfant pour le réconforter.

Ses paupières se faisaient lourdes et il bailla à s'en décrocher la mâchoire. Mais il ne voulait pas dormir. Il ne voulait pas fermer les yeux. Il voulait la voir, sa petite princesse miniature pleine de grâce. La regarder encore et encore, jusqu'à n'en avoir plus soif.