Aujourd'hui le soleil est extrêmement brillant. Il doit être près de midi alors il est plutôt haut dans le ciel. Chacun de ses rayons se reflète sur les grains de sable de la plage, les faisant ainsi scintiller. Le spectacle d'une plage entière brillant au fil des mouvements du soleil pourrait en éblouir plus d'un, encore que, mais Adriel est simplement assis sur un rocher, un peu en retrait. Il jette compulsivement des coups d’œil de chaque côté de lui toutes les cinq minutes. Depuis quelques temps les crises paranoïdes se renforcent et il est angoissé quasiment en permanence. Non pas qu'il ait peur qu'on attente à sa vie, car il saurait se défendre, mais il y a comme une insécurité doublée d'une incertitude qu'il sent toujours dans l'air. Parfois toute cette tension lui semble presque palpable. Comme s'il pouvait la saisir dans la paume de ses mains...Il est donc là, assis, à nettoyer minutieusement le canon de son arme. Il n'y a aucune sirène à l'horizon et de manière générale aucune âme qui vive n'est présente aux alentours. La plage est absolument calme. Il est seul. Il profite tant qu'il peut de cette quiétude. Les moments ou la paix et le silence règnent se font plutôt rares ces derniers temps. Entre les équipages pirates qui se prennent la tête, les indiens et les enfants perdus qui en veulent aux adultes, les sirènes bizarres...cette île est loin d'être encore le havre de paix parfait qu'elle était lors de son arrivée il y a presque sept ans désormais. Le pirate serre ses lèvres et ses mains se crispent un peu plus autour de son arme, si bien qu'il ne se rend pas tout de suite compte qu'il sert tellement fort que ses jointures on blanchit. Il soupire et cesse son nettoyage, glissant de nouveau son pistolet à sa ceinture, dans l'étui prévu à cet effet. Malgré le beau temps et la tranquillité, Adriel sait bien que sa journée a mal commencé. Aujourd'hui il oscille en permanence entre ses deux personnalités et aucune des deux ne semble vouloir s'installer, au moins pour quelques heures. Tout en pensant à ça et en rageant intérieurement sur son incapacité à être stable mentalement il descend de son rocher et commence à arpenter la plage de long en large. Il donne des coups de pieds rageurs dans le sable, il marmonne et peste. Quiconque le verrait à cet instant le prendrait sûrement pour un parfait fou mais au fond c'est un peu ce qu'il est, n'est-ce pas ? Le pire est peut-être qu'il en a conscience, mais qu'il ne peut pas lutter pour sauver sa santé mentale. Ça fait déjà bien trop longtemps qu'il s'enfonce dans des méandres trop sombres, trop addictifs. Il se laisse finalement tomber dans le sable et en prenant appui sur ses coudes rejette sa tête en arrière. Peut-être que s'il reste sagement assis là à ne rien faire il arrêtera de cogiter et s’apaisera un peu ? Malgré tout il n'y croit pas un instant et secoue la tête en murmurant entre ses dents. « C'est peine perdue mon gars. Tu n'es pas sauvable de toute manière. Tu l'es plus, en tout cas. »

Adriel est toujours allongé dans le sable. Il murmure entre ses dents, il se parle à lui-même. Il sait bien que c'est étrange, que ce n'est pas quelque-chose que font les gens normaux mais au fond de lui il sait parfaitement qu'il n'est pas normal et actuellement il n'en a rien à foutre. Ça le rend dingue de ne pas comprendre ce qui se passe dans sa propre tête ! D'aucun dirait qu'il est complètement fou, une cause perdue, et même lui commence à penser que c'est vrai. Il soupire et regarde le ciel. Il fait décidément chaud aujourd'hui. Trop chaud pour le pirate habillé en noir et quand on sait que les derniers jours on été plutôt orageux. Il y a des jours ou cette île est encore plu bizarre que lui. Et autant vous dire que c'est plutôt exceptionnel et remarquable. Niveau étrangeté il n'y a qu'Espérance qui puisse rivaliser avec lui. Et encore, il la trouve plutôt saine d'esprit comparée à lui, mais c'est parce qu'il l'apprécie énormément. Nouveau soupir alors qu'il cherche frénétiquement la trace d'un nuage dans le ciel. Rien. Peut-être qu'il aurait du se mettre à l'ombre finalement ? Un autre inconvénient relatif au fait d'avoir deux personnalités c'est bien qu'on est un éternel insatisfait. La plupart du temps les gens font avec -ils n'ont pas vraiment le choix- ou ils risquent fort de se retrouver dans une fâcheuse posture, un couteau contre la gorge mais... Perdu dans ses pensées, autant dire complètement à la ramasse, Adriel ne fait pas du tout attention aux bruits qui l'entourent. Il ne perçoit pas la présence de quelqu'un d'autre sur la plage avant que ce quelqu'un soit à deux pas de lui, et il se serait bien passé d'entendre cette voix parce qu'il sait ce que ça présage. On ne peut donc pas être un peu tranquille sur cette putain d'île quand il n'y a aucun trésor à chercher ? En plus de ça le pirate a le grand plaisir de recevoir des grains de sable sur le visage. Dans l'état d'énervement ou il est aujourd'hui il étriperait bien ce gars...mais Hook ne serait pas content. Cet énergumène ne vaut pas la peine de gâcher une amitié, ou en tout cas c'est ce que pense une part d'Adriel et c'est peut-être mieux ainsi. Après le jet de sable il se redresse mais reste assis sur le sable. L'autre vient déjà le déranger, il ne va pas en plus se lever et se mettre à faire ses quatre volontés. C 'est pas la fête hein !  « Ça te regarde ? Dis Swanson, t'as pas mieux à faire que de venir pourrir les honnêtes gens ? Moi qui était persuadé que les insectes craignent le soleil, faut croire que finalement pas tant que ça. » Il lui dit ça en jouant frénétiquement avec des poignées de sable. Vraiment énervé pour le coup. Lui qui essaye de se calmer depuis une heure, Nathan arrive comme une fleur et ruine tout ! A l'origine Adriel ne le déteste pas, ou plutôt la bonne part de lui ne le déteste pas. Disons que le docteur pense que le second du Vaillant est, à cause de son dédoublement de personnalité, un individu trop instable et donc du coup une très mauvaise fréquentation pour ce très cher capitaine Hook. Adriel galère déjà suffisamment à se faire des potes vue sa pathologie, il faut en plus que des connards acerbes viennent briser ce qu'il a galéré à ériger ? Parfois il se demande bien comment il fait pour avoir envie de rester ici. C'est vrai que l'endroit est joli, même fantastique, mais dans son petit patelin d'Angleterre il parvenait à être tranquille quand il le désirait. Certes les gens avaient peur qu'il leur adresse la parole et sa vie sociale se résumait au néant mais bon, au moins personne ne s'amusait à essayer de la détruire.

Il ne faut pas plaisanter avec Adriel. Ou si vous tenez vraiment à le faire il faut faire en sorte que ça ne dure pas longtemps, vraiment. Surtout quand il est déjà énervé à la base. Ce qui se produit très souvent si on tient compte de ses fréquents changements de personnalité sur lesquels il n'a aucun contrôle. On peut aisément dire que ce sont eux qui le dominent et que ça ne sera jamais l'inverse, car ils ne lui laissent aucun répit. Tant qu'il sera dominé par ses instincts qui ne lui laissent pas le choix, il demeurera un danger pour les autres et pour lui-même. Son cœur se serre en pensant à Elle, la bonne partie de lui souhaiterait ne jamais avoir ne serait-ce que levé la main sur elle...Mais qu'importe, la plupart du temps ce bon aspect de lui est impuissant. Puis là maintenant il a d'autres chats à fouetter que de s'enfoncer dans une longue complainte et des remords. Et pour cause puisque Nathan Swanson vient de se ramener sur la plage et fait ce qu'il fait de mieux au monde : lui pourrir la vie. Il s'abaisse au niveau du second du Vaillant qui se contente de souffler pour replacer certaines mèches de cheveux en bataille, déjà ennuyé par cette conversation. D'ordinaire il ne crache pas sur un bon petit échange de réparties cinglantes, mais aujourd'hui il est trop fatigué, en pleine remise en question et de trop mauvaise humeur pour supporter qu'on le bouscule. « Écoute...Sois gentil et dégage. Je sais pas à quoi tu joues, et j'ai même pas envie de savoir. Retourne faire joujou avec un stéthoscope sur ton navire et arrête de te foutre devant le soleil parce que là ça va vraiment me gaver. Puis concrètement, je peux savoir ce que je t'ai fait pour que tu t'acharnes autant à me pourrir la vie ? Soit t'es un psychopathe de base, soit t'es débile. Je sais vraiment pas quoi choisir. » Swanson souffle sa fumée dans le visage de l'autre qui toussote en prenant toujours bien soin de ne pas le regarder, pour rester calme et résister à la tentation de lui refaire le portrait là sur le sable. Adriel serre les poings, ses veines ressortent, ses jointures blêmissent. Autant dire qu'il fait vraiment un effort surhumain pour garder son calme. Ce gars a vraiment un don pour le mettre hors de lui, et actuellement il donnerait tout pour l'éclater contre un rocher. Mais il doit se contrôler, faire des efforts pour respirer calmement et s'empêcher d'exploser. Ça ferait désordre. D'autant plus que que Nathan est très proche de Hook, et comme le capitaine du Jolly est un des rares vrais amis d'Adriel sur cette île alors autant éviter de remettre ça en question en abîmant le médecin. Même si pour l'instant ça lui demande un effort surhumain de résister à la tentation. Quand le sourire de Nathan quitte son visage après une pirouette de répartie du second du Vaillant, ce dernier est désormais celui qui sourit. Mais en quelques secondes la situation prend une tout autre tournure. Inattendue. Ou pas tant que ça tout compte fait. Adriel, en appui sur ses coudes, ne voit pas arriver le coup de pied qui lui atterri directement dans l'épaule. Il a fallu un ou deux secondes seulement à Nathan pour le décocher et franchement Adriel est surpris par sa rapidité mais aussi par la violence de l'impact. Allongé sur le sable, une douleur lancinante parcourant l'endroit ou il vient d'être frappé, il ne peut que maudire son manque de réflexes. Il essaye de se redresser mais l'autre vient le maintenir au sol en posant un pied sur sa joue. Et il croit pouvoir lui faire la morale en plus ? Parader comme celui qui a toujours raison et se permettre de donner des conseils aux gens ? Adriel déteste ce genre de comportement presque autant qu'il déteste le genre de personnes qui l'adoptent. Perdant tout son sang froid en moins d'une seconde il se débat un peu puis finit par se relever. Il recule de quelques pas et trébuche, encore sonné par le coup de tout à l'heure. Il voit rouge désormais. Un voile de colère est venu couvrir son regard et il ne veut plus que lui faire payer son affront, alors son poing part tout seul, pour aller s'écraser sur le nez de son tout nouvel « adversaire ». Alors que celui-ci chancelle, Adriel fait quelques pas pour s'approcher de lui et le saisit par le col. « La prochaine fois qu'il te prend l'envie de t'adresser à moi comme à un morveux de huit ans, tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de le faire. Puisque visiblement tu t'y connais en expressions stupides qu'on sert à toutes les sauces aux gosses. Maintenant tu devrais dégager Swanson, ou je risque vraiment de te faire très mal. » Il ajoute à sa tirade un sourire satisfait doublé d'une œillade sombre qui ne présage rien de bon.

Nathan n'est rien de plus qu'un misérable insecte. C'est en tout cas ce que pense Adriel désormais. Pourtant il ne l'a pas détesté tout de suite, c'est comme si l'autre lui avait forcé la main. Il cherchait à comprendre la raison de leur querelle, ce qui pouvait bien énerver Nathan à ce point. Il n'a jamais pu trouver une réponse claire à son questionnement intérieur alors il a décidé que finalement ça n'avait rien d'important et qu'il pouvait se contenter de rendre la monnaie de sa pièce au médecin du Jolly. Après tout, n'est-ce pas seulement une sorte de légitime défense ? Aujourd'hui c'est peut-être aussi un défouloir, un moyen de chasser la colère ambiante présente partout dans l'air. C'est valable pour les deux hommes. Le second du Vaillant voudrait anéantir de ses poings la lueur de fierté qui brille au fond des yeux de Nathan alors qui le maintient au sol et s'amuse à l'humilier encore plus. Mais il finit par se relever, et il essaye de reprendre complètement ses esprits malgré la douleur lancinante qui continue de se propager dans toute son épaule. Finalement il faut croire que Swanson frappe plus fort qu'une fille. Adriel ne l'en croyait pas capable. Il n'a jamais imaginé qu'un jour il se battrait avec Nathan, ou plutôt qu'il se ferait frappé par lui. Pour lui leur différent était condamné à rester uniquement verbal advitam eternam. Il ne faut jamais dire jamais. Voilà pourquoi il est plus ou moins convaincu qu'en le frappant ce pirate moins que rien redescendra sur Terre et cessera de l'importuner. Il n'a pas que ça à faire de ses journées, se battre avec des idiots. Même s'il était un peu à cours d'idées avant l'arrivée de Nathan il doit quand-même y avoir un tas de choses bien plus intéressantes à faire sur cette île que de se bastonner hargneusement comme ça. Mais qu'importe. Maintenant qu'il l'a lui aussi frappé Adriel ne compte pas perdre. La défaite est quelque-chose dont il a profondément horreur. Pourtant rien ne semble arrêter ce gueux qui continue de gesticuler et de l'ouvrir comme si tout allait bien et qu'il n'avait pas le nez en sang. Il veut que sa petite personne soit un peu plus endommagée ? Très bien. Ça ne pose absolument aucun problème à Adriel de lui arranger encore un plus le portrait. C'est une véritable insulte pour lui qu'on réponde à ses provocations par d'autres provocations. Et quand il est insulté le pirate voit rouge, suffisamment rouge pour faire du mal à son adversaire, et on ne parle plus là d'un petit nez fracturé et taché de sang. Malgré tout le second écoute ce que dit son vis-à-vis d'une oreille distraite, essayant de se contrôler pour ne pas céder à la tentation de lui faire bouffer le sable avant de l'éventrer d'une main experte. Après tout il est plutôt doué pour ça. Si bien qu'il se demande si un médecin pirate meurt bien, du genre dignement. Mais il chasse cette idée de sa tête rapidement, il n'a aucune envie que James lui en veuille d'avoir tué son ami. Adriel se contentera donc de l'amocher. Dommage. « Oh mince, tu n'es pas une donzelle ? Moi qui croyait...Pardon pour cette méprise alors, très cher. Allez sérieusement fous le camp ! Ça m'embêterait vraiment que ton capitaine m'en veuille parce que je t'ai tué. Après tout on est ami lui et moi, et ça ne se gâche pas une belle amitié. Puis sincèrement t'es même pas amusant à frapper. T'es vraiment chiant sur toute la ligne Swanson ! C'est d'un désespérant... » Mais le bougre revient le frapper. Une remontée de genoux à laquelle il ne s'attendait vraiment pas, et dans un endroit on ne peut plus sensible. Adriel retombe au sol sur ses genoux, plié en deux. Il va avoir beaucoup de mal à ne pas lui faire beaucoup plus de mal que prévu après ça. Sa vision se recouvre d'un voile rouge, et il n'y a plus rien de moqueur dans ses yeux. Le sarcasme s'envole aussi vite qu'une nuée d'oiseaux, très vite remplacé par la haine et le désir irrépressible de l'étrangler, même si pour l'instant il n'est pas vraiment en position de le faire. Il essaye de respirer calmement et de se concentrer pleinement sur la douleur pour faire en sorte qu'elle s’apaise. C'est un peu mieux, mais juste un peu. Il relève la tête pour regarder Nathan, la mâchoire contractée à l'extrême et les dents serrées. Mais il continue, encore. C'est une ultime provocation lorsqu'il vient éteindre sa cigarette sur la clavicule d'Adriel qui retient un cri de surprise autant que de douleur en se mordant les lèvres. Il reste un instant immobile, la tête qui tourne et maudissant Swanson en silence. Mais quand la douleur s'estompe enfin assez pour qu'il puisse se relever avec un semblant de dignité, il foudroie son ennemi du jour du regard, et se rapproche de lui en quelques enjambées boitillantes. Il lui donne un coup de poing au visage, puis un autre, et tout les deux basculent à terre. Le second du Vaillant se tient au dessus du médecin du Jolly, faisant craquer bruyamment ses jointures et grimaçant encore de douleur. Il maintient Nathan au sol d'un genoux appuyé sur ses tibias et lui sourit comme un dément. « Je crois que tu n'as pas bien compris Swanson, que ça devrait s'arrêter là. Sinon ça va dégénérer en combat à mort, et que ce soit toi ou moi qui perde, il y aura des mécontents. »