∞ ashes to ashes, dust to dust

Peter observait avec attention la façon qu’avait Lily de s’entraîner. Il y avait dans son regard un mélange de fierté, de crainte et de respect ; pas un seul instant il ne doutait qu’elle serait un grand chef, le jour venu. Elle l’avait dans le sang, mais plus important, elle l’avait dans le cœur. Elle vouait son existence aux siens, une cause noble qu’il ne pouvait qu’applaudir. Peter aurait aimé pouvoir en dire autant de lui-même, mais n’aurait-ce pas été un peu narcissique de sa part ? Par ailleurs, il avait fait le choix de ne pas user de violence contre les habitants de Rivebois et on lui reprochait souvent de se moquer de ce qui arrivait. C’était bien entendu une grotesque méprise, puisqu’il s’agissait bien là de l’avenir de SON île. Assis sur la branche, jambes balançant doucement dans le vide, il attendit qu’elle fasse une pause et joue avec son poignard pour annoncer sa présence. Discrètement, il se glissa derrière elle et s’empara du poignard au moment où elle le faisait tournoyer. « Bonjour Lily. » dit-il avec un sourire avant de lui tendre l’arme de sorte à ce qu’elle l’attrape par la garde. Il s’assit en face d’elle et prit appui sur ses bras, derrière lui. « Tu t’en sors merveilleusement bien, je suis impressionné. » ajouta Peter en jetant un coup d’œil vers ces pauvres cibles qui avaient rendu l’âme, plus loin. « J’espère ne jamais avoir à être à leur place. » Il rit un peu et tourna de nouveau les yeux vers elle pour l’observer. Depuis le temps qu’il la connaissait, Lily avait énormément grandi. Et quelque part, ça l’effrayait. Car à travers elle, il voyait déjà ce qu’il se refusait à devenir : un adulte. Il se sentait mal dans ce corps d’adolescent bourré de ce qu’on appelait « hormones » alors que tout avait été plus simple lorsqu’il n’était encore qu’un garçonnet d’un mètre quarante avec pour seul sentiment incontrôlable la colère qu’il ressentait quand Tinkerbell jouait avec ses nerfs. Cette époque-là, il la regrettait comme un adulte regretterait son enfance. Et ça lui donnait la nausée. « Quoi qu’il en soit, je ne suis pas là pour t’inciter à te servir de moi comme de cible, mais plutôt pour te parler de quelque chose … Tu as du temps devant toi ? » Il y avait un problème avec cette tribu indienne que Peter voulait partager avec Lily. Parce qu’ils avaient beau protéger les enfants, ils les mettaient aussi en danger et le garçon ne pouvait pas accepter ça. Qu’il se mette en danger, lui, était une chose ; que ses frères et sœurs le soient, c’était intolérable. Mais malgré ses rapports avec la jeune indienne, Peter n’était pas certain de pouvoir trouver un terrain d’entente à ce propos. Depuis peu, tout échappait à sa volonté. Il n’avait plus contrôle rien, si ce n’était la nature qui répondait encore à ses désirs. Comme lorsqu’il avait fait en sorte d’immobiliser Candice Dean, dans la forêt.   

∞ ashes to ashes, dust to dust

« Merci beaucoup. Je suis contente que la petite démonstration t'ait plu. Je dis petite parce que je peux faire bien mieux hein...Je ne suis pas vraiment au meilleur de ma forme aujourd'hui. Longue journée hier et courte nuit, enfin tu connais ça. » Peter acquiesça et sourit avec tendresse, ne connaissant que trop bien ce dont elle parlait. Généralement, il dormait dans un hamac au milieu du camp pour surveiller les entrées des cabanes, afin d’être sûr que personne d’étranger au camp ne s’y faufile en douce. Et puis il en oubliait de fermer l’œil, jusqu’à ce que les lueurs du matin ne lui rappellent combien le temps passait vite. « Je viendrai te voir t’entraîner quand tu seras au meilleur de ta forme alors. » répondit-il avec un sourire espiègle. Ce n’était pas la première fois qu’il la regardait décapiter des ballots de paille, mais il s’abstint de lui dire ; c’était étrange, non ? « Bien sûr que non ! Jamais je ne te blesserais. Je veux dire, j'ai grandi près...on est voisins sur cette île depuis si longtemps. Te faire du mal me tuerait. » Peter rougit légèrement en observant Lily qui s’évertuait à regarder ailleurs. Il aurait aimé lui demander pourquoi elle l’évitait ainsi, mais elle devait avoir ses raisons. « Et tu sais que je ne t’en ferai jamais. » répondit-il dans un murmure. Il serra les dents, avala sa salive avec difficulté et souffla : « Mais tout change si vite … » Peter n’aurait jamais cru dire ça un jour. Pendant des centaines d’années, tout était resté semblable en tout point et maintenant, il était terrifié de voir que son propre monde changeait presque aussi vite que le monde réel, à commencer par ses habitants. Ce qui avait été par le passé pouvait-il encore être à l’avenir ? Lily resterait-elle indéfiniment son alliée ? « Je m'en doute bien...Moi qui pensais que tu venais juste me rendre une petite visite comme au bon vieux temps. » Lily le regarda enfin. Il sourit, amusé, malgré son air grave. Il la connaissait assez pour savoir qu’elle n’était pas entièrement sérieuse. « Venir te rendre visite est toujours un plaisir, quel qu’en soit le but. » Peter avait toujours aimé passer du temps avec Lily. Les choses avaient un peu changé après ce fameux soir où elle l’avait embrassé parce que ça l’avait terrifié. Si ça l’avait amusé sur le moment et qu’il avait ensuite volé à son secours quand elle s’était fait enlever par Hook, il n’en menait pas large. Peter fuyait tout ça comme la peste et la peste, il savait littéralement ce que c’était. « Je crois que j'ai besoin de faire une vrai pause alors oui, on va dire que je peux t'accorder un moment. » Peter s’assit à ses côtés comme elle le lui proposait et soupira d’aise, yeux rivés vers leur horizon. « Ton enthousiasme est plaisant, moi qui pensais que tu n’aurais pas envie de me voir uniquement quand tu n’as pas d’entraînement ! » Tous deux se cherchaient continuellement, ça les amusait. Et pourtant, en grandissant, ils le faisaient de moins en moins même si ils s’accrochaient à ces bribes du passé qui faisaient d’eux des enfants. « Alors voilà … Depuis que vous avez décidé d’attaquer Rivebois, certains de mes enfants désobéissent et font la même chose. Est-ce que les tiens les entraînent dans leur combat ? » Peter tourna ses yeux couleur émeraude vers Lily, à ses côtés, pour les plonger dans les siens. « Je refuse que les enfants perdus soient blessés parce que les indiens leur montent la tête en disant que se battre est la meilleure chose à faire. Ils n’ont pas votre entraînement. » Il n’y avait aucune méchanceté dans sa voix, mais une anxiété palpable. Il n'avait pas l'habitude de montrer ce qu'il ressentait, preuve de l'état de nerf dans lequel il se trouvait.  

∞ ashes to ashes, dust to dust

« Je vois que maintenant mônsieur fait dans le sentimentalisme ! » Peter rit et secoua la tête. Décidemment, les filles n’avaient que ce mot-là à la bouche : sentiment. Mais venant de Lily, ce n’était pas très étonnant : elle, elle avait toujours grandi et mûri. « Est-ce une mauvaise chose ? » demanda-t-il, taquin. « Mais non, tu sais bien que tu égayes toujours mes journées. Comme le soleil ! Ça doit être du...à la couleur de tes cheveux ! » Le garçon écarquilla les yeux et partit d’un grand rire amusé : était-ce un compliment, ou non ? Là non plus, il n’était pas extrêmement doué pour déceler ce qu’il en était. « Tu as toujours le don de me faire rire. Ta présence est mon soleil à moi, je présume. » Peter ne se rendait pas réellement compte de la portée de ses propos, de sa façon de la complimenter là où ses mots étaient à ses yeux parfaitement innocents. « Peter...Je suis désolée mais...Les indiens n'encouragent pas les enfants à se battre. Ils...Ce sont eux, ils tiennent à toi et ils tiennent à l'île. Il faut les comprendre, c'est tout ce qu'ils ont désormais, alors ils veulent se défendre eux aussi. Ils veulent que tout soit comme avant. Tu sais que je suis très proche de certains d'entre eux. Ils me l'ont confié...D'ailleurs j'ai l'impression de les trahir en en parlant mais, tu as le droit de savoir. Je suis désolée Peter. » La discussion prit un tournant beaucoup plus désagréable, et toute trace de bonne humeur disparut. Mais ils devaient en arriver là, c’était inévitable. Par ailleurs, la réponse de Lily ne satisfit pas Peter qui aurait aimé, involontairement, trouver en elle la coupable idéale. Il fallait que ce soit à cause de Lily ! Il se laissa tomber sur le dos et regarda le ciel, distraitement. Pouvait-il lutter contre l’ensemble des enfants perdus, simplement pour leur interdire de faire ce qu’ils voulaient ? Le garçon a vait crée Neverland pour que ces enfants, au contraire, puissent vivre ce qu’ils voulaient y vivre, sans restrictions. « Et toi, tu n’as pas peur pour les tiens ? Ils risquent leur vie chaque jour. Penses-tu réellement que ce soit une bonne idée de les attaquer sans les connaître davantage, anticiper leurs réactions ? » Peter tourna la tête vers Lily et cligna des yeux. Cette conversation, il aurait pu l’avoir avec le père de la jeune femme. Pourtant, plus le temps passait, plus Lily s’imposait comme la véritable chef du camp indien, là où son père s’effaçait peu à peu. Elle était belle. Et digne. Et courageuse. Son regard intelligent prouvait qu’elle était celle faite pour diriger, là où il souffrait d’un cruel manque de culture et de maturité. Peter enviait tout chez elle. « Je ne veux pas plus qu’il vous arrive quelque chose à vous qu’aux enfants, et surtout pas toi. On ne sait pas de quoi ils sont capables. » conclue-t-il, lèvres pincées. Peter tendit la main devant lui et fit apparaître une pomme qu’il porta à ses lèvres. « Tu as faim ? » s’enquit-il en mâchant, pour faire passer la pilule.

∞ ashes to ashes, dust to dust

Tous deux partageaient des inquiétudes communes, partageaient beaucoup tout court. « Bientôt je serais chef...Je...Ils disent que je suis prête à diriger le village mais je n'en suis pas vraiment convaincue. Les décisions que je dois prendre sont souvent expérimentales et pleines de doutes...Mais je ne suis pas encore chef. Mon père ne nous autorise pas à le faire, et certes parfois je suis inquiète. Pour moi ils sont des amis et même des frères et sœurs alors si je devais les perdre...Je ne veux même pas y penser ! Mais je ne suis pas chef. Et c'est pour la liberté qu'ils prennent les armes. Qui suis-je pour leur interdire d'aller là où les guide leur cœur quand moi-même j'ai choisi de me battre pour la sauvegarde de Neverland ? » Ses paroles étaient pleines de bon sens et d’une grande sagesse. Ce fut comme une gifle pour le garçon perdu qui fronça un peu les sourcils. Et lui, qui était-il pour interdire aux enfants de se battre ? Peter ne se pencha pas davantage sur cette question qu’il traiterait seul, quand il aurait le temps. A moins qu’il ne veuille pas le faire. On grondait de plus en plus à son sujet, on parlait de lui comme d’un tyran, un despote, un sadique malsain. Avant qu’on ne lui enseigne, Peter ne connaissait la signification d’aucun de ces mots ; et finalement, il aurait préféré ne rien savoir. Heureux étaient les simples d’esprit. « Tu feras un excellent chef, tu es faite pour ça. » se contenta-t-il de répondre avec un sourire doux. « Tu les aimes, et ils t’aiment en retour. Il ne peut en être autrement. » Peter était sincère en disant cela. Il ne pouvait y avoir meilleure chef pour les indiens que ne le serait Lily. Ils lui étaient dévoués comme les enfants étaient dévoués à Peter. « J'ai peur tu sais...Parfois j'ai peur qu'on ne s'en sorte pas et qu'il arrive réellement quelque-chose de grave, puis ensuite je me rappelle que tu es là, que les enfants perdus ainsi que mon peuple le sont aussi. J'ai confiance en toi Peter. J'ai confiance en nous. Je ne suis pas totalement rongée par l'inquiétude parce qu'il me reste cette confiance. » J’ai confiance en nous. Peter sourit, et son cœur s’emballa. C’était ensemble qu’ils se battraient, envers et contre tout. Ces mots résonnèrent dans son esprit tel une douce mélodie, inlassablement. J’ai confiance en nous. « Moi aussi, j’ai confiance. Cette île est nôtre, et elle le redeviendra. Comme avant. » Comme avant, lorsqu’il n’y avait que nous. Peter tendit la pomme à Lily et croqua dans la sienne, tournant son regard vers l’horizon. Il garda le silence un moment pour profiter de ce maigre en-cas. Sa faim était quelque peu amenuisée par son anxiété permanente qui lui coupait l’appétit, comme il brisait son sommeil, l’empêchait de sourire. « Ma magie s’amenuise. » avoua-t-il alors, brusquement. Peter tourna son visage vers celui de Lily et il croqua une nouvelle fois dans sa pomme, honteux. « J’ai peur de ce qui arrivera si je venais à ne plus pouvoir l’utiliser. Et si le Pays Imaginaire mourrait ? »[/color] Penser à ça lui procura un frisson d’horreur à peine dissimulé. « Mais ensemble, nous le sauverons. » répéta-t-il, pour s’en persuader, pour que cette idée pénètre son esprit et son cœur et n’en sorte plus jamais. Il fit disparaître le trognon de la pomme après avoir resserré la main autour et soupira. Faire apparaître et disparaître de la nourriture n’était pas le tour de magie le plus compliqué, et pourtant ça le fatiguait réellement quand il en abusait. « J’ai entendu dire que vous organisiez une fête bientôt, c’est vrai ? » demanda-t-il pensivement en arrachant quelques brins d’herbe, à ses pieds.