J'étais en crise? Ouais, c'était absolument ça. Depuis le mariage chez les sirènes et le coup d'éclat de mon capitaine, j'étais sur les nerfs. Et ce que je venais d'apprendre était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase. Déjà, j'étais fâchée contre lui qu'il ait poignardé Peter Pan et que ça ait foutu un tel bordel sur l'île! Et puis après, j'apprenais par hasard qu'il "sortait" avec la jolie fée Persée et qu'il lui disait sûrement qu'il l'aimait. C'était définitivement le truc qui m'avait fait craquer... Comment pouvait-il tromper une charmante jeune fille si innocente et pure? C'était absolument horrible. La décision de quitter le Neptune me trottait dans la tête depuis que j'avais revu Candice et puis elle était devenue plus forte quand Jesse avait poignardé Peter Pan qui ne lui avait absolument rien fait et ce dernier détail avec Persée avait fini de me décider. Je faisais mon sac avec des gestes brusques, j'étais folle de rage. Un petit sac de toile suffisait à récupérer toutes mes affaires, je n'avais vraiment pas grand chose ici. Prenant une grande inspiration, je jettais mon sac sur mon épaule et me rendis à grande enjambée à la cabine du capitaine du Neptune. Le bateau était quasiment vide, les hommes étant presque tous descendus sur terre pour aller boire et se trouver des femmes, enfin rien d'étonnant lors d'une escale au port. Je frappai trois coups forts à la porte de sa cabine et puis rentrais avant d'entendre sa voix ou qu'il ne m'ouvre! Je m'avançais vers lui et la colère se lisait sur mon visage, d'un mouvement violent, je lui balançais mon sac au visage en tenant bien solidement la courroie.

Tu es un horrible personnage Jesse! Déjà tu poignardes un gamin et pis après tu mens à une fée... T'as aucune moralité! Pirate sans foi, ni loi!! Je m'en vais, je refuse de participer plus longtemps à ça!

Je lui avais hurlé ça au visage en essayant de lui mettre un deuxième coup de sac. En colère? Le mot était sûrement un peu faible. Inconsciente? Sans aucun doute. J'étais à bout de nerf, j'avais pris les médicaments prescrits contre la douleur et j'avais fait l'erreur de boire de l'alcool et donc mélanger les effets. J'étais folle de rage et défoncée ce qui me donnait encore plus de courage dans un sens, mais surtout me rendait complètement inconsciente du danger. Je connaissais la maladie de Jesse et je savais donc qu'il pouvait devenir violent, même s'il ne m'avait jamais fait de mal, je savais pertinemment que je me mettais dans une situations à hauts risques... Et malgré cette conscience aigüe du danger, j'étais bien campée sur mes pieds, mon visage irradiait la colère et j'étais prête à foutre un bordel monstre.

La cabine du Capitaine était dans le noir complet depuis quelques jours. Le Neptune se vidait un peu plus, laissant les pirates traîner dans les rues de Rivebois, dans les tavernes et les bordels, jusqu’à ce que Jesse décide qu’il était temps de remettre les voiles. Mais il ne l’avait pas fait, et maintenant, il était pratiquement persuadé qu’il était la dernière âme vivante sur le navire, à son plus grand soulagement. Cette bande d’abrutis avaient enfin compris qu’ils n’allaient pas repartir en mer de sitôt. Non seulement leur relation avec les sirènes étaient relativement tendues depuis le couronnement d’Eriel, mais en plus, le Capitaine n’était pas vraiment apte à ordonner quoique ce soit en ce moment précis.

Bloqué devant son miroir depuis quelques minutes, il essayait de garder le contact avec ses propres yeux, qui se faisaient peu à peu plus vitreux. Lutter. Il fallait lutter. Alors lorsqu’Alice déboula en trombe, folle de rage, et lui lança son sac en pleine figure, il tomba sous le choc. Ce n’était pas la douleur qui l’impressionna le plus, c’était les yeux fous de rage de la pirate posés sur lui. Et le fait qu’elle ait été capable de le frapper ainsi, malgré le respect qu’elle avait toujours montré. En ce moment précis, avec cette haine et ce dégoût collés sur son visage, et son « arme » fermement serrée dans ses mains, Alice, pour la première fois, lui fit peur.

Tu es un horrible personnage Jesse! Déjà tu poignardes un gamin et pis après tu mens à une fée... T'as aucune moralité! Pirate sans foi, ni loi!! Je m'en vais, je refuse de participer plus longtemps à ça!

Jesse tiqua. Mentir à une fée ? Comment l’avait-elle appris ? Comment l’avait-elle deviné ? Tout dégénéra. Si quelqu’un savait, alors Perséphone risquait de l’apprendre, et là … Il se prit la tête dans les mains en évitant le deuxième coup de sac, et essaya de respirer normalement. Lutter devenait plus difficile lorsque quelque chose comme des coups de sac ou la soudaine démission d’une de ses plus proches amies arrivaient. Et à ce moment précis, le Capitaine du Neptune savait qu’il ne lutterait plus très longtemps. Son crâne bouillait, les voix s’amplifiaient à une vitesse hallucinante, ses yeux se brouillaient, cherchaient un point d’ancrage, et le trouvèrent dans les pupilles haineuse de son amie. Du mieux qu’il put, il réussit à sortir une phrase, une seule, empreinte de souffrance, à peine murmurée.

« Alice … Va-t’en, vite … »

Et ce fut la fin de sa raison. Il expira, posa doucement une main par terre, et se releva. Ses yeux désormais perdus firent le tour de la pièce, avant de se poser de nouveau sur la jeune femme en face de lui. Et un rictus mauvais prit place sur son visage. Oh, bien sûr, il avait peur d’elle, mais il avait peur comme il aurait eu peur de n’importe quelle femme en ce moment précis. Ce n’était plus Alice qui se postait en face de lui. C’était un jouet, une possibilité de divertissement. Il s’approcha doucement, et passa le dos de sa main sur la joue de la femme, comme une caresse. Mais sa voix était plus rauque, comme cassée.

« Alors comme ça, tu veux partir ? Tu penses que tu peux quitter un navire pirate comme bon te semble ? Chérie, le seul moyen de partir d’ici, c’est par la planche. »

Le pirate rit doucement, et se recula, amusé. Au fond de lui, quelque chose lui disait qu’il ne devait pas faire de mal à la jeune pirate. Qu’elle était son amie, et qu’il l’aimait. Mais cette voix était si faible, comparée aux autres, qu’il l’entendait à peine. Il tourna son visage vers le miroir face auquel il était resté si longtemps, et eut un mouvement de recul, avant de sortir son pistolet et de tirer dessus. Les morceaux de miroir se répandirent sur le sol, et il en prit un dans le creux de sa main. Il ne supportait pas sa propre image. Faisant tourner le morceau de verre brisé dans sa paume, sans porter d’intérêt aux coupures qu’il provoquait, il murmura de nouveau. Et même sa voix lui paraissait lointaine.

« Alice, Alice, Alice … Tu sais, tu peux me traiter de tous les noms, je m’en fiche. Mais par contre … »

En quelques secondes, il l’avait plaquée contre un mur, et tenait le morceau de verre contre sa gorge. Un rictus sadique déformait ses traits, mais ses yeux ne montraient que de la rage. Il allait lui faire payer pour ce qu’elle avait fait.

« Ne t’avise plus jamais de lever la main sur moi. »

Et il approcha son visage du sien, si proche qu’il pouvait sentir la respiration de la femme sur sa peau. Il hésitait entre la tuer et faire durer l’amusement un peu plus. Mais ce contact, cette chaleur féminine si proche de lui, le rendait mal à l’aise plus qu’il n’aurait osé l’avouer. Il se sentait menacé. De quoi, là était la question. Mais la colère d’une femme n’était jamais une bonne chose, la colère d’une femme était dévastatrice, dangereuse, violente. Et même dans sa démence, Jesse Miller ne pouvait s’empêcher d’en avoir peur.

© charney

Inconscience? C'est sûrement mon deuxième prénom. Mais l'alcool et les anti-douleurs font un bon cocktail déshinibant et j'en ai rien à foutre. À quelque part, tout au fond de moi, je suis sûre que Jesse ne me fera pas de mal et puis de l'autre côté, je n'en suis pas si sûre. Jesse est fou, ce n'est pas une grande nouvelle. Il y a des risques pour que ça parte vraiment dans tous les sens. En même temps, j'ai envie de toute casser dans sa cabine et le casser lui, en milles morceaux. Je vois la lutte au fond de ses yeux. Bien campée sur mes pieds, je me demande ce qui va se passer... Il réussit à éviter le deuxième coup de sac. Et puis soudain, il me murmure de m'en aller vite. La souffrance dans sa voix me fait me figer. Et merde, la folie a pris le dessus. Je le vis dans ses yeux alors qu'il se releva. J'aurais voulu partir en courant mais je ne pouvais plus le faire. C'était trop tard. J'allais devoir affronter les conséquences de mes actes. Son visage avait changé, un rictus haineux déformait ses traits. Je le regardais sans vraiment prendre l'ampleur de ce qui se passait, il s'approcha et passa le dos de sa main sur ma joue... Sa voix avait changé elle-aussi. Figée sur place, je ne bougeais plus d'un pouce. Il me demanda si je voulais partir, enfin l'affirmant plutôt. Puis il me demanda si je pensais pouvoir quitter un navire pirate comme je le voulais... le seul moyen de m'en sortir serait par la planche et c'était une affirmation, une vérité dont il était convaincu. Et merde, j'aurais peut-être juste du me barrer plutôt que venir faire ma crise.

Jesse rit, recula et se regarda dans le miroir un instant avant de faire exploser le miroir d'un tir. Je sursautai violemment et me mit à trembler. De peur? De colère? Un savant mélange des deux! Et puis je ne me rendais pas vraiment compte à quel point j'étais mal barrée. Il venait de me dire que pour partir, je devrais mourir, mais même ça ne suffisait pas à dégriser mon cerveau embrumé. Je relevai la tête quand il prononça mon prénom trois fois. Selon ses propres mots, je pourrais l'insulter tant que je voulais mais je ne devais plus jamais lever la main sur lui. En disant cette dernière partie, il me plaqua violemment contre le mur et appuya le morceau brisé du miroir contre ma gorge. J'en oubliais de respirer pendant quelques instants. Je savais que je risquais gros, mais jamais je n'aurais pensé que ça puisse tourner aussi vite à mon désavantage... Le problème? C'est qu'il pesait au moins vingt kilos de plus que moi et ce n'était pas de la graisse mais bien du muscle! Il rapprocha son visage du mien tandis que je me remettais à respirer. Et je me mis à trembler doucement. Peur? Oui, je commençais à avoir vraiment peur.

Je resterais pas sur le Neptune...

Ma voix est à peine un murmure. J'ai vraiment peur et le pire dans tout ça, c'est que plutôt que d'être dégrisée par toute cette agitation et ce danger... et puis j'ai l'impression que mes sentiments et mes impressions sont démultipliées par mille. Je suis dans la merde. Un léger soupir m'échappe. Je veux juste sortir d'ici et m'enfuir le plus loin possible...

Elle avait peur de lui. Il pouvait le lire dans ses yeux. Il le sentait sous ses mains. Il le ressentait dans chaque particule de son être. Elle était là, à sa merci, tremblante et haineuse. Malgré le danger, elle était incapable de laisser sa colère de côté, elle se sentait dans l’obligation d’aller jusqu’au bout de son choix initial. Elle continuait dans sa provocation. « Je resterais pas sur le Neptune... » Même sa voix paraissait paralysée désormais. Elle n’était plus rien qu’une petite fille qui tremblait, et ce, même pour Jesse. Dans sa démence, il ne trouvait rien de plus jouissif que d’observer la peur se propager dans les pupilles de quelqu’un qui l’avait mis dans cet état. Admirer leur visage autrefois si confiant se décomposer peu à peu, les mains qui avaient osées se lever sur lui commencer à trembler, …

Un frisson de plaisir parcourut son corps. Dieu ce que c’était bon. Appuyant à peine le morceau de verre brisé contre la peau du cou de la jeune fille, il observa une perle de sang en couler, et la lécha, hypnotisé par sa couleur. Ce carmin était tout simplement divin. Avec un goût métallique dans la bouche, il sourit doucement et posa ses yeux perdus sur son ancienne amie.

Quelque chose le démangeait. Quelque part, dans un coin de sa tête, il savait que quelque chose clochait dans ce schéma. Il n’était pas censé faire ça. Pas à elle. Pendant quelques secondes, ses sourcils se froncèrent et ses yeux parurent chercher autour de lui ce qu’il se passait réellement. Puis les voix augmentèrent en flèche, hurlant, criant, dans sa boîte crânienne, toutes plus aigües les unes que les autres, si puissantes qu’elles semblaient le déchirer de l’intérieur.

Retenant un cri de douleur, il lâcha le morceau de verre et abattit son poing dans le mur, juste à côté du visage d’Alice. La douleur était insupportable. Serrant la mâchoire et les yeux le plus fort possible, il perdit tout contrôle de la situation. Encore plus qu’auparavant. Toute trace de calme avait totalement déserté son esprit. Ne restaient plus que les voix, et la démence. Celle qui ne pouvait pas perdre. Alors le rictus revint, déformant son visage un peu plus, et ses mouvements se firent plus secs, moins naturels. Le regard indubitablement mauvais, les pupilles dilatées par l’adrénaline, il attrapa l’ancienne pirate par le col et la jeta par terre. Elle allait payer pour son coup, pour sa trahison, et même pour sa naissance. Il lui ferait regretter d’être encore en vie.

Il se posta donc sur elle, bloquant ses poignets d’une main au-dessus de sa tête, et passant l’autre dans ses cheveux d’un air faussement attendri. Mais il ne faisait pas illusion, un rictus monstrueux déformant encore et toujours son visage marqué par une souffrance intérieure. « Et tu vas aller où hein ? Tu vas courir dans les bras de ta « fiancée » ? » Avec un rire narquois, il envoya son poing dans le ventre de la jeune femme, avec toute la force possible, sans jamais quitter des yeux sa victime. Il fallait qu’elle souffre. Il fallait qu’elle voie la mort comme une solution à ses problèmes. Il fallait qu’elle sache ce que ça faisait que de n’être plus rien. Il reposa sa main dans ses cheveux, comme la caresse qu’on adresserait à un animal. « Au final, t’es rien de plus qu’un chien très fidèle. Un gentil toutou obéissant. »

Sur ces mots, il dégaina son couteau et lui érafla la joue avec, laissant une minuscule cicatrice, avant de lécher son sang de nouveau. Dieu ce que c’était bon. Porté par un instinct animal, sa langue passa de la coupure aux lèvres d’Alice, qu’il finit par embrasser. C’était loin d’être un baiser doux, il était violent, cherchait uniquement à faire mal. Un baiser qui appelait la folie à se satisfaire.

Il s’arrêta lorsqu’il réalisa la présence du corps tremblant sous lui, et éclata d’un rire de folie pure. Il ne savait plus si c’était le sang ou la peur qui lui plaisait le plus. Il ne savait plus s’il voulait la tuer ou lui faire l’amour. Il ne savait plus si c’était un être humain ou un jouet. La voix basse et les yeux ailleurs, une phrase qui lui était bien familière franchit ses lèvres. « Sois donc un jouet obéissant. » Et il sourit d’un sourire plein de promesses. De promesses de souffrance et de déni de la nature même d’humain.

© charney